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L’EPFCL-France organise deux journées nationales sur le thème « les symptômes de l’inconscient ». Ces journées auront lieu à Paris dans un mois et demi, les 24 et 25 novembre prochains. J’ai été invité à m’exprimer dans cette soirée dite “préparatoire aux journées nationales” et pour m’orienter, je me suis appuyé sur l’adjectif « préparatoire ».

En effet, j’ai choisi de seulement poser des questions, sans tenter d’y répondre, comptant sur les exposés des Journées nationales pour apporter des réponses.

Concernant le thème des journées, « les symptômes de l’inconscient », ni les symptômes ni l’inconscient ne sont des idées neuves pour la psychanalyse, elles sont même présentes depuis son origine. Le symptôme est une notion apparemment évidente, tangible presque, comparée à d’autres notions psychanalytiques moins immédiates, comme l’inconscient, qui n’est pas simplement le non-conscient, ou la pulsion, avec son aspect mythique. Alors en quoi la notion de symptôme peut-elle rester une question pour la psychanalyse encore aujourd’hui ?

Pour l’occasion de cette soirée préparatoire, une vingtaine de questions me sont venues à propos du symptôme, constituant une sorte d’inventaire, partiel et partial. Toutes ne sont pas également intéressantes mais je saisis cette occasion pour les partager avec vous.

J’ai classé plus ou moins arbitrairement ces questions en trois parties, du général au particulier :

  1. Les aspects théoriques « contextuels », disons
  2. Les aspects théoriques psychanalytiques
  3. Les aspects cliniques et pratiques

1. Aspects théoriques contextuels

1.1 Questions sémantiques générales

Je commence par une série de questions sémantiques générales, susceptibles d’aider à préciser de quoi on parle lorsqu’on parle de symptôme, en retenant plusieurs disciplines ou champs:

  • Qu’est-ce qui différencie le symptôme au sens analytique du symptôme au sens commun?
  • Qu’est-ce qui différencie le symptôme au sens analytique du symptôme en médecine?
  • En psychiatrie?
  • Et en psychologie?

Dans le champ de la psychanalyse, le terme de symptôme a pris un sens qui s’est autonomisé. Mais ce terme préexistait à l’invention de la psychanalyse, et aujourd’hui il coexiste aussi avec les significations que lui donnent d’autres disciplines.
Je reprends brièvement pour chacune de ces disciplines.

Le sens commun, c’est impossible d’y échapper, pour soi-même comme avec les autres. Donc ignorer les différences avec le sens commun, c’est s’exposer à des malentendus ou à des erreurs de raisonnement.

Le sens médical ramène à la relation thérapeutique. En particulier, il conditionne souvent la demande de guérison de l’analysant. Il peut donc y avoir un enjeu pratique à cerner l’écart sémantique avec le sens médical.

Concernant le sens psychiatrique, la tâche me paraît plus complexe car j’ai l’impression qu’il n’est pas unique mais qu’il varie dans le temps et dans l’espace. Cependant, comme d’une façon générale les interactions entre la psychanalyse et la psychiatrie me semblent fructueuses, je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas aussi le cas en l’interrogeant spécifiquement sur la définition du symptôme.

Concernant le sens psychologique, une étude comparative ne me semble pas forcément inintéressante. Je ne suis pas sûr que le sens psychologique soit fondamentalement différent du sens commun ou du sens médical sur le symptôme, mais si on lui trouvait une autonomie, étant donné les efforts de formalisation universitaire de cette discipline, il y a des chances pour que l’écart sémantique soit intéressant.

1.2 Questions sémantiques spécifiques

Je continue avec une série de questions sémantiques aussi, mais sur des points plus particuliers.

  • Qu’est-ce qui différencie le symptôme au sens analytique du symptôme au sens marxien?
  • Qu’est-ce qui différencie le symptôme au sens analytique du symptôme en sociologie?
  • Qu’est-ce qui différencie le symptôme au sens analytique de la notion de symptôme social?

Ces trois questions ne sont probablement pas indépendantes les unes des autres, mais cela reste à démontrer je crois. En tout cas elles me sont venues par trois.

Je les vois comme des questions « proto-politiques », c’est-à-dire en deçà de l’action ou de la planification. Elles conditionneraient plutôt l’idée qu’on se fait des rapports possibles entre le discours analytique et la vie de la cité, éthiques donc. Elles m’intéressent à ce titre.

Le rapport avec le sens marxien est amené explicitement par Lacan lorsqu’il prête à Marx d’être l’inventeur du symptôme, et qu’il retire dans le même mouvement ce statut à Hippocrate. Ce geste ne peut pas être anodin.

La sociologie en tant que discipline étudie un objet dont il est tentant de l’approcher comme un individu. Tel phénomène pourra alors être présenté comme un symptôme d’une société ou d’un groupe social étudié, comme le burn-out qui serait le « symptôme » de certains modes de management. S’agit-il de ce sens sociologique dans la formule de Lacan, quand il qualifie la psychanalyse elle-même de symptôme?

La question du symptôme social a l’air d’être la même que celle du sens sociologique mais elle déplace finalement l’accent sur l’opposition entre symptôme social et symptôme particulier. Étant donné que l’alternative particulier-social continue d’affecter notre conception de l’inconscient, on peut se demander comment le symptôme peut être ce qu’il y a de plus singulier alors qu’il émane de l’inconscient, qui lui est à la fois particulier et social.

2. Aspects théoriques psychanalytiques

Je zoome maintenant sur le champ plus strictement psychanalytique.

2.1 Difficultés intrinsèques sémantiques

D’abord deux questions sémantiques.

  • Devrait-on dire, dans le champ psychanalytique, que le symptôme est plutôt un concept, ou bien qu’il est plutôt une notion?
  • Et si on pense le symptôme comme un concept, alors pourquoi Lacan l’a exclu des quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse? En quoi ne serait-il pas fondamental?

Concernant la première question, la signification de notion et celle de concept diffèrent selon les disciplines, comme en philosophie ou en linguistique, qui n’en ont pas les mêmes définitions. Si l’on considère que la notion relève davantage de l’observation empirique et que le concept relève davantage de l’idée générale, alors je crois que le statut de la définition du symptôme varie selon les auteurs de notre Ecole. Je me demande de quel côté penchera son statut à la fin des deux journées nationales.

Concernant la seconde question, le symptôme ne fait pas partie du club très fermé des quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, mais cela ne l’empêche pas d’avoir une place dans la psychanalyse, dans les psychanalyses, et en dehors du champ psychanalytique. Quelle place lui donnons-nous dans la psychanalyse?

2.2 Difficultés lacaniennes de forme

Maintenant, une série de questions théoriques dans l’approche lacanienne qui touchent plus directement des difficultés formelles de la notion de symptôme, à savoir: sa disjonction interne, l’aspect asymptotique, sa singularité, et la multiplicité des registres.

  • Concernant la disjonction: Comment concevoir, au sein de la notion apparemment homogène du symptôme, la disjonction entre le symptôme-vérité et le symptôme-lettre? C’est-à-dire entre le déchiffrage et le bénéfice secondaire, pour reprendre les termes freudiens. Il ne s’agit pas seulement d’une schize historique ou herméneutique, mais conceptuelle: comment penser le fait que le symptôme au sens analytique est porteur de ces deux dimensions hétérogènes à la fois? Pourquoi y a-t-il un seul nom au lieu de deux?
  • Concernant l’aspect asymptotique: Comment penser un aspect asymptotique du symptôme, c’est-à-dire inatteignable, avec l’idée que le symptôme est ce qui s’approche le plus de l’être du sujet? Autrement dit, si le symptôme n’est pas l’être du sujet, qu’est-ce qui l’en distingue?
  • Concernant la singularité: l’idée que le symptôme serait ce qu’il y a de plus singulier chez un sujet confère-t-elle un caractère non-universalisable au terme de symptôme et à son emploi? Autrement dit, jusqu’où la singularité symptomatique, dans la diversité de ses formes, peut-elle distordre la notion de symptôme?
  • Concernant la multiplicité des registres: Comment se représenter de façon efficiente qu’il s’agirait de ce qu’on s’imagine de l’effet réel de la coalescence entre le symbolique et le réel, malgré la multiplicité des registres en jeu?

2.3 Difficultés lacaniennes de fond

Je poursuis avec une série de questions théoriques sur l’approche lacanienne aussi, mais qui se rapportent moins à la forme qu’au fond, à savoir: l’auto-identification, la mise en perspective freudienne, le bourgeon du sinthome, et la position quart.

  • Comment concevoir que le symptôme soit doué d’une capacité d’identification? La question se pose avec l’idée de Lacan que quelque chose s’identifie à la fin de l’analyse. Mais si l’identification relève de l’imaginaire, et si le symptôme relève du symbolique et du réel mais pas de l’imaginaire, alors comment le symptôme pourrait-il s’identifier?
  • Concernant la mise en perspective freudienne: Pourquoi Lacan décolle entre eux les trois termes de la série freudienne inhibition, symptôme et angoisse? En particulier, est-ce que la question de savoir si l’inhibition et l’angoisse sont des symptômes ou pas est close et pourquoi?
  • Ensuite: Pourquoi Lacan produit-il un écart, sur lequel il insiste, entre symptôme et sinthome? Pour quelles raisons cliniques?
  • Concernant la position quart, ou quatrième: Comment peut-on concevoir une consistance équivalente entre le symptôme et chacun des trois registres Réel, Symbolique et Imaginaire? Comment le symptôme promu 4e peut-il être pensé comme une consistance automone?

3. Aspects cliniques et pratiques

Voilà la dernière partie, qui aborde des aspects plus cliniques et pratiques, avec une série de sept questions sur: l’idée de sujet asymptomatique, le piège du réductionnisme symbolique, la fin des séances préliminaires, la reconnaissance de son symptôme, la politique de l’analyste face au symptôme, l’éthique de l’École face au symptôme, et l’au-delà du pléonasme de la formule « les symptômes de l’inconscient ».

  • Quel jugement porter sur l’idée de l’existence de sujets asymptomatiques? Lacan n’a pas reculé devant l’idée de normalité, qui est proche de l’idée d’absence de symptôme. Mais comment penser un sujet asymptomatique?
  • Comment ne pas tomber dans le réductionnisme avec l’idée que le symptôme est de la même nature qu’un poème? Autrement dit, comment ne pas éluder sa part de jouissance?
  • Concernant la direction de la cure: Comment reconnaître l’émergence du symptôme parmi les plaintes analysantes? La fin des séances préliminaires en dépend, si l’on considère que le symptôme est ce dont l’analysant se plaint.
  • Une question d’analysant maintenant: Comment reconnaître son propre symptôme? La question peut se poser à l’analysant à plusieurs moments de sa cure, éventuellement de façons diverses: Pourquoi je fais une psychanalyse? De quoi je veux qu’on me débarrasse? Qui suis-je? Qu’est-ce qui me meut? Comment ça se satisfait en moi?
  • Concernant l’offre de l’analyste: Quel réglage politique opérer face au symptôme comme support de l’offre psychanalytique? En particulier, comment faire sa place au symptôme devant les demandes de s’en faire débarrasser? Mais aussi, plus largement au niveau de l’Ecole, quelles positions promouvoir face à ces notions de symptôme et de sinthome?
  • Enfin, je reviens sur le titre de nos journées nationales: La formule « les symptômes de l’inconscient » n’est-elle qu’un pléonasme? Les symptômes sont des formations de l’inconscient — au même titre que les rêves, les lapsus, les actes manqués et les mots d’esprit — donc les symptômes sont nécessairement des symptômes de l’inconscient, au moins dans le champ de la psychanalyse. Qu’est-il possible d’entendre d’autre dans ce titre?

Conclusion

On sait que symptôme et question ont, avec la psychanalyse, des affinités plus grandes qu’ailleurs, alors je dirais profitons-en!