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Le prix d’une rupture historique marxienne dans le destin psychique freudien **

« Remember me, but ah! forget my fate.2 »
Air de Didon (H. Purcell)

« Si ce que Freud a découvert et redécouvre dans un abrupt toujours accru, a un sens, c’est que le déplacement du signifiant détermine les sujets dans leurs actes, dans leur destin, dans leur refus, dans leurs aveuglements, dans leur succès et dans leur sort […]3 »
J. Lacan


Qu’est-ce qu’on paye en psychanalyse ? C’est la question posée par nos Journées nationales. Ma thèse principale est simple, elle tient en une phrase : on se paye une psychanalyse en vue de faire un sort à son destin.

Pour le dire de façon plus développée : je vais soutenir l’idée partielle que l’analysant en tant que tel (c’est-à-dire en tant qu’il s’analyse dans le dispositif de la cure), et à cause de l’insupportable de phénomènes psychiques et corporels pénibles qui se répètent (comme inhibition, symptôme ou angoisse), est mû par une sorte d’expectative plus ou moins claire de rupture historique (au sens marxien) d’avec ses déterminismes psychiques (au sens freudien, repérables dans la répétition, les pulsions et l’inconscient). Donc j’avance que ce qu’on paye en psychanalyse, au niveau le plus général, serait de l’ordre d’un espoir d’une rupture historique d’avec son destin psychique.

Flashback. Rien ne distingue l’arrivée devant un médecin de l’arrivée devant son psychanalyste. Nous voyons la même séquence de début : on appuie sur la sonnette, la porte s’ouvre, vient la salle d’attente, et à un moment on entre dans le cabinet et on s’installe. « Bonjour, ça ne va pas en ce moment. » Jusque-là, c’est pareil. Mais ensuite apparaît une divergence radicale…

Dans le cas d’une consultation médicale, le médecin va écouter, poser des questions, examiner, puis peut faire une prescription, éventuellement des antidépresseurs, et le patient peut repartir avec une ordonnance – son ordonnance –, soit une matérialisation concrète d’un acte médical, trace de l’acte pour lequel il aura payé.

Mais dans le cas d’une séance de psychanalyse, pas d’ordonnance. Pas de facture non plus. Mais alors, qu’est-ce qu’on paye dans une psychanalyse ? L’enjeu est ailleurs. Bien sûr si on paye, quelles que soient les conditions, c’est toujours pour obtenir quelque chose. Mais alors en psychanalyse c’est pour obtenir quoi ?

Je l’ai déjà annoncé, ma thèse générale est qu’on paye en vue de faire un sort à son destin. À l’appui de cette thèse, je vais donc articuler trois idées, qui sont plutôt extérieures à notre champ mais qui me semblent utiles ici. Je présenterai donc d’abord la notion de rupture historique, puis je discuterai celle de destin, et enfin j’évoquerai l’espoir.

Des ruptures historiques au niveau psychique

La rupture historique est une notion que j’ai isolée et présentée lors de notre après-midi préparatoire intercartels, à partir de ma lecture du Capital de Marx. Cette présentation a été publiée dans le Mensuel de l’EPFCL4, donc j’y renvoie pour les détails. En résumé, le concept de rupture historique que j’avais dégagé comme étant marxien serait caractérisé par quatre aspects :

  1. le passage d’un ordre au suivant, comme le passage de l’ordre féodal à l’ordre capitaliste ;
  2. la valeur strictement historique, c’est-à-dire transitoire, de l’avènement des lois internes du nouvel ordre ;
  3. une différence structurale d’avec le concept de crise, puisque la crise n’entraîne pas de changement fondamental ;
  4. et la progressivité pour passer d’un ordre à un autre, puisque ce passage ne peut pas ne pas prendre du temps.

On peut se demander à quoi pourrait correspondre dans la psychanalyse ce concept de rupture historique, qui dit essentiellement qu’après ne sera plus comme avant. Précisément, j’ai choisi de le mobiliser parce que s’il y a bien une chose assurée à l’entrée d’une analyse, c’est qu’on veut que ça cesse, c’est-à-dire qu’on souhaite une rupture. Soit on veut arrêter de souffrir, soit on veut comprendre pourquoi on souffre, soit les deux. Il s’agit donc bien de rupture, que ce soit d’avec sa souffrance et/ou d’avec son ignorance. Mais comment se représenter ces ruptures ? Il m’a semblé que l’on peut justement déduire de l’approche historique de Marx un modèle pertinent pour la psychanalyse.

Dans la théorie psychanalytique lacanienne en particulier, on peut recenser un certain nombre de passages susceptibles de relever d’une telle rupture historique, faisant passer d’un ordre à un autre.

Au niveau des ruptures psychiques hors cure, je propose de retenir :

  • l’entrée dans la parole5,
  • l’entrée dans le stade du miroir6,
  • la sortie du stade du miroir7,
  • le refoulement originaire8,
  • la formation du symptôme9,
  • ou encore le premier déclenchement10.

Au niveau des ruptures psychiques susceptibles de se produire au sein d’une cure psychanalytique, je propose d’isoler :

  • la chute des identifications11,
  • la chute du sujet supposé savoir12,
  • la traversée du fantasme13,
  • la destitution subjective14,
  • l’identification au sinthome15,
  • le ou les moments de passe16.

Lacan a produit des façons de représenter certains de ces changements psychiques de multiples manières : les changements de forme du graphe du désir, l’extraction de l’objet a dans le cross-cap, le retournement de la trique, et bien sûr le support instrumental du nœud borroméen17, que ce soit pour la représentation de l’avènement des structures psychiques ou pour la représentation d’opérations psychiques. Car pour penser ces ruptures, Lacan a aussi formalisé des opérations : comme les coupures, les épissures, les sutures, les raboutages, et les clips.

En réalité, la raison d’être de la psychanalyse, c’est bien l’introduction d’un changement dans l’existence, au niveau psychique. Lacan l’a exprimé de diverses manières et l’une de ses formulations les plus notoires est celle de « la subversion du sujet », spécialement dans la dialectique entre désir de reconnaissance et reconnaissance du désir18. Mais je vais plutôt reprendre ici sa logique modale, puisque je suis parti de ceci — qu’on paye en psychanalyse parce qu’on veut que quelque chose cesse. Or cette idée du cesse évoque très précisément l’expression « ce qui cesse », qui se trouve au fondement de ses quatre formules modales du nécessaire, du possible, du contingent, et de l’impossible. Je reviendrai sur ces formules modales, après un détour par le destin et par l’espoir.

Destin propre et déterminismes psychiques

J’ai proposé l’idée qu’en général en psychanalyse on paye pour pouvoir faire un sort à son destin, mais quel destin ?

D’abord, commençons par distinguer le destin, de la fatalité. Le mot fatalité vient du latin fatum, qui a aussi donné le mot fatal. Dans la fatalité, il y a le poids du tragique, par exemple le tragique de la mort de Didon quand Énée songe à la quitter, ce tragique qui s’entend dans l’air déchirant de sa lamentation « forget my fate »19. La racine étymologique de destin, loin du tragique associé à la fatalité20, a aussi donné les mots destination et destinataire, qui indiquent simplement une arrivée et une adresse. Quatre définitions du destin figurent dans le précieux Trésor de la langue française, et je retiens pour ce travail sur l’enjeu du paiement dans une psychanalyse celle-ci :

« Sort spécial réservé à un être humain ou à une chose, conditionné par un fait inéluctable, notamment par sa nature propre.21 »

On conçoit en effet que la nature propre d’un être humain, en particulier sa réalité psychique, puisse conditionner ses réactions22, et par là qu’un certain sort spécial lui soit réservé.

Ensuite, dans notre champ, le mot destin nous évoque immanquablement Freud, avec son essai si crucial Pulsions et destin des pulsions23. On connaît leurs quatre destins possibles (les quatre Triebschicksale), qu’il recense pour les pulsions dites alors par lui sexuelles : le renversement dans son contraire, le retournement contre sa propre personne, le refoulement, et la sublimation. Plus tard, dans Le Moi et le Ça24, Freud énumère trois nouveaux destins pulsionnels pour un autre type de pulsion qu’il vient de dégager, la pulsion de mort : fusionner avec les pulsions sexuelles, se dévier vers le monde extérieur sous la forme de la violence, ou rester à l’intérieur de l’individu comme autodestruction25.

En réalité, il faut remarquer ici que le fait que les pulsions doivent subir ces dits destins (Schicksale), implique que les pulsions ne peuvent pas ne pas être. Freud va d’ailleurs jusqu’à affirmer que leur poussée, leur Drang, est constante. Autrement dit, certes les pulsions peuvent connaître différents destins, mais surtout les pulsions nous constituent un destin, au sens justement d’un « fait inéluctable » dans notre nature propre. Il y a donc d’une part les différents destins possibles des pulsions, et puis d’autre part les pulsions comme destin.

Mais il y a plus encore, parce que les pulsions ne sont pas les seules à nous faire un destin. L’inconscient aussi constitue un tel déterminisme psychique. L’idée de Freud que l’on n’est plus maître en sa propre demeure26 est d’ailleurs entrée dans les esprits depuis plusieurs décennies déjà. Dans ce sens, on pourrait condenser en une formule ramassée : l’inconscient, c’est le destin ; ce pourrait être en quelque sorte le dire de la psychanalyse27.

Ajoutons, en matière de destin, qu’il faut aussi compter avec le symptôme, avec le noyau du symptôme et avec la jouissance. En effet, si la psychanalyse change quelque chose à cette affaire de destin, c’est précisément parce qu’elle intervient sur ces deux niveaux, qui ne sont pas sans rapport, à savoir le niveau du symptôme et le niveau de la jouissance. Lacan, spécialement dans la dernière période de son enseignement28, tente d’en serrer au plus près les articulations et les ressorts, avec les différentes modalités de jouissance – jouissance phallique, jouissance du sens, jouissance Autre et jouissance liée à l’objet a en tant que plus-de-jouir29 – et les différents statuts du symptôme – de la plainte d’entrée en analyse à l’identification au symptôme, en passant par la nomination du symbolique30 et par la réduction du symptôme à son noyau. D’une part, modalités de jouissance et symptôme entrent de plein droit dans la catégorie de ces « faits inéluctables » psychiques qui conditionnent le sort spécial réservé à un être parlant et, d’autre part, la psychanalyse montre qu’ils sont réductibles, jusqu’à un certain point.

Retenons donc qu’il existe une version proprement psychanalytique de la notion de destin au moins au niveau des pulsions, de l’inconscient, du symptôme et de la jouissance, et de leur intrication.

Enfin, j’aimerais extraire un certain sel de l’écart apparemment minuscule entre destin et destinée. Cette fois-ci, le recours à l’étymologie ne pourra pas nous aider à distinguer ces deux termes, puisque la racine est la même. Néanmoins, le Trésor de la langue française nous gratifie d’une remarque intéressante pour notre enquête : « Destin impliquerait essentiellement une idée de cause, dont les effets constitueraient la destinée.31 » Cette différence au niveau du rapport cause/conséquence consonne opportunément avec ce que Lacan accentue en 1975 du rapport entre la psychanalyse et la destinée via le singulier. Lacan y déclare en effet que :

« La seule chose qui vaille, ce n’est pas le particulier, c’est le singulier. La règle fondamentale veut dire : ça vaut la peine de traîner à travers toute une série de particuliers pour que quelque chose de singulier ne soit pas omis […] Si quelque chose se rencontre qui définisse le singulier, c’est ce que j’ai quand même appelé de son nom : une destinée. 32 »

De l’espoir en psychanalyse

Maintenant, examinons la composante de l’espoir, à partir de la question Que m’est-il permis d’espérer ? Cette troisième grande question de Kant, après les questions que puis-je savoir et que dois-je faire, a été posée à Lacan dans le documentaire réalisé en 1973 pour la télévision33. Lacan fait cette réponse bien connue maintenant :

« La psychanalyse vous permettrait d’espérer assurément de tirer au clair l’inconscient dont vous êtes sujet 34. »

Le lien entre psychanalyse et espoir s’y précise, au niveau d’un espoir de savoir sur son inconscient, par la pratique analytique. Notons aussi que la psychanalyse est à la fois une pratique de parole, un dispositif et le discours qui lui correspond.

C’est notamment en ce point de l’accès à un espoir de savoir, mais aussi de guérir et d’être entendu, que vient s’insérer une convention tacite et payante, au sens propre comme au sens figuré, entre l’analyste et l’analysant. Ici, je vais citer un peu longuement Pierre Martin, qui serre cette question au plus près dans son livre exigeant qui s’intitule Argent et psychanalyse35.

« Il s’agit encore d’un contrat tacite, plus exactement d’un quasi-contrat, dit, en l’espèce “contrat de soins” ; mais la convention qui s’y reçoit entre les contractants comporte dans l’implicite une obligation adéquate à son objet qu’aucun acte ne soutient, autre que le discours. L’engagement qui s’y prend est d’une parole à entendre, de significations à déchiffrer, de symptômes à guérir, en retour de l’argent donné.36 »

Pouvoir s’entendre, déchiffrer et guérir, c’est-à-dire que cesse l’errance de la lettre du sujet et que cessent les souffrances et les mystères du symptôme, voilà les attendus du quasi-contrat analytique, et cette convention implique à la fois la parole et le paiement.

Avec le rappel de cet attendu que certaines choses cessent, c’est le moment de revenir à la logique modale élaborée par Aristote37 et revue par Lacan dans le séminaire Encore38, à partir des quatre catégories classiques : possible, impossible, nécessaire, et contingent39. Lacan formalise finalement ainsi deux grandes catégories de ruptures historiques dans l’histoire d’une psychanalyse, par un passage à l’écriture40.

  1. On a d’un côté une écriture du symptôme, dans un passage du nécessaire au possible. Le symptôme qui ne cessait pas de s’écrire peut cesser, virgule41, de s’écrire, c’est-à-dire en s’écrivant dans la cure. Ce premier type de passage à l’écriture produit donc un gain thérapeutique.
  2. Et on a de l’autre côté une forme (paradoxale) d’écriture du non-rapport sexuel, dans le passage de la contingence à l’impossible. Le non-rapport sexuel, qui pouvait occasionnellement cesser de ne pas s’écrire, s’écrit alors comme quelque chose qui ne cesse pas de ne pas s’écrire42. Ce second type de passage à l’écriture produit un gain de savoir, pas sans effets, notamment en matière d’amour.

Objections épistémologiques

On pourrait objecter que les concepts que j’utilise pour répondre à notre question ne sont pas proprement psychanalytiques. Cependant, je crois que dans l’emploi qui en est fait ici, ils le sont.

Bien sûr les termes de destin et d’espoir sonnent désuets, et avec une connotation spirituelle, voire mystique, à l’occasion. Mais destin peut se départir de cette connotation si l’on n’en conserve que la notion structurale de nécessité. Il s’incarne alors dans la répétition, comme résultat et comme trace de ce que nous programment l’inconscient, les pulsions et le noyau du symptôme.

Concernant l’espoir, il faut le distinguer de l’espérance, et retenir son sens d’expectative, d’attente, ou de visée, de tension vers un but. Le terme freudien de Wunsch s’en rapproche alors assez.

Quant à la notion de rupture historique, on a vu que son extraction de l’œuvre du Capital comme modèle marxien ne visait qu’à définir un concept formel susceptible de subsumer pour notre champ un certain nombre de passages d’un ordre psychique à un autre, qu’ils se produisent hors cure ou bien au sein d’un travail psychanalytique. Et j’ai déjà énuméré une liste d’exemples de tels passages psychiques au début de mon exposé.

Du destin à la destinée

En résumé, à notre question « qu’est-ce qu’on paye en psychanalyse ? », j’ai esquissé une réponse partielle qui s’appuie essentiellement sur trois notions : on paye avec l’espoir d’une rupture historique dans notre destin psychique.

On a vu aussi que cet espoir est fondé, puisque le travail analytique impliqué par la règle fondamentale peut conduire en effet à des passages à l’écriture du singulier et de l’impossible, et par suite à des changements notamment aux niveaux du symptôme, de la jouissance, et de l’amour.

Autrement dit, aussi bien, tant que les ficelles de notre destin ne se sont pas écrites, on en reste prisonnier. Et aussi bien, à force de revenir dans l’analyse sur ce qui fait son destin, on peut se faire une destinée.


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  1. ** Ce texte est une version légèrement revue d’un exposé prononcé le 26 novembre 2022 à Paris, dans le cadre des Journées nationales de l’EPFCL-France, intitulées « Qu’est-ce qu’on paye en psychanalyse ? ». Merci à Muriel Mosconi pour les différents échanges autour de ce texte.↩︎
  2. « Souviens-toi de moi, mais oublie mon destin ». Dans l’opéra de Purcell Didon et Énée, c’est ce que demande la reine Didon, au moment où elle se meurt, à sa confidente Bélinda, dans l’air célèbre et poignant de sa lamentation, sur une ligne de basse en ostinato chromatique obstinément descendant.↩︎
  3. J. Lacan, « Le séminaire sur “La lettre volée” », dans Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 30.↩︎
  4. K. Barkati, « La rupture historique chez Marx et dans la psychanalyse : fragments sur le Continent-Histoire », Mensuel n°165, EPFCL-France, janvier 2023, p. 50-55.↩︎
  5. Cf. M. Bousseyroux, « Les trois états de la parole. Topologie de la poésie, poésie de la topologie », L’en-je lacanien, 2014/1 (n° 22), p. 49-62. URL : https://www.cairn.info/revue-l-en-je-lacanien-2014-1-page-49.htm. « L’infans, le petit être d’avant l’entrée dans la parole, lalangue le fait naître, comme parlêtre, poème. »↩︎
  6. Cf. J. Lacan, « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je », dans Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 94 : « L’assomption jubilatoire de son image spéculaire par l’être encore plongé dans l’impuissance motrice et la dépendance du nourrissage qu’est le petit homme à ce stade infans, nous paraîtra dès lors manifester en une situation exemplaire la matrice symbolique où le je se précipite en une forme primordiale […] ».↩︎
  7. Cf. ibid., p. 98 : « Ce moment où s’achève le stade du miroir inaugure, par l’identification à l’imago du semblable et le drame de la jalousie primordiale […], la dialectique qui dès lors lie le je à des situations socialement élaborées. C’est ce moment qui décisivement fait basculer tout le savoir humain dans la médiatisation par le désir de l’autre, constitue ses objets dans une équivalence abstraite par la concurrence d’autrui, et fait du je cet appareil pour lequel toute poussée des instincts sera un danger […] »↩︎
  8. Cf. S. Freud, « Le refoulement », dans Métapsychologie, Paris, Gallimard, Folio Essais, 1968, p. 48 : « Nous sommes donc fondés à admettre un refoulement originaire, une première phase du refoulement qui consiste en ceci que le représentant psychique (représentant-représentation) de la pulsion se voit refuser la prise en charge dans le conscient. Avec lui se produit une fixation ; le représentant correspondant subsiste à partir de là de façon inaltérable et la pulsion demeure liée à lui. »↩︎
  9. L’un des textes les plus didactiques de Freud sur la formation du symptôme est sans doute sa 23ème conférence, « Les voies de la formation des symptômes », in Conférences d’introduction à la psychanalyse, Paris, Gallimard, Folio Essais, 1999, p. 455-478 : « La contradiction qui s’était élevée à [l’]encontre [du représentant de la libido] dans le moi lui emboîte le pas au titre de « contre-investissement » et le contraint à choisir une expression telle qu’elle peut devenir en même temps sa propre expression. C’est donc ainsi que naît le symptôme comme rejeton multiplement déformé de l’accomplissement de souhait inconscient libidinal, une ambiguïté ingénieusement sélectionnée, qui renferme deux significations qui se contredisent totalement. » (p. 458). On trouve une synthèse de cette conférence dans mon travail au séminaire de Sol Aparicio (K. Barkati, « Présentation de la 23e conférence de Freud », Cahiers du collège de clinique psychanalytique de Paris, 2013). Du côté de Lacan, il y a notamment sa conférence à Genève qui cite cette 23ème conférence (J. Lacan, « Conférence à Genève sur le symptôme du 4 octobre 1975 », Bloc-note de la psychanalyse, vol. 5, 1985).↩︎
  10. Cf. J. Lacan, « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », dans Écrits, Paris, Le Seuil, 1966. Après avoir situé le moment du déclenchement dans le cas Daniel Paul Schreber (p. 565-566), Lacan y formule sa conception dans les termes nouveaux dont il ne disposait pas à l’époque de sa thèse : « Pour que la psychose se déclenche, il faut que le Nom-du-­Père, verworfen, forclos, c’est-à-dire jamais venu à la place de l’Autre, y soit appelé en opposition symbolique au sujet. » (p. 577).↩︎
  11. Je reprends l’expression de « chute des identifications » telle qu’elle circule dans notre école, par exemple sous la plume de Christian Demoulin dans cette phrase : « Les identifications d’aliénation sont des identifications via l’Autre et sont destinées à chuter dans l’analyse. » (C. Demoulin, « Névrose, topologie et fin d’analyse – L’identité de séparation », revue de psychanalyse de l’EPFCL-Pôle 9 Ouest n°1, 2006). Conceptuellement, cette expression désigne l’aboutissement du processus de séparation du sujet d’avec ses aliénations.↩︎
  12. J. Lacan, Séminaire, L’Acte psychanalytique, inédit, séance du 10 janvier 1968 ; ici et plus bas, c’est nous qui soulignons. « Le terme de l’analyse consiste dans la chute du sujet supposé savoir et sa réduction à l’avènement de cet objet (a) comme cause de la division du sujet qui vient à sa place. »↩︎
  13. J. Lacan, Le Séminaire, Livre XI, Les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Le Seuil, 1973, p. 246 : « Comment un sujet qui a traversé le fantasme radical peut-il vivre la pulsion ? Cela est l’au-delà de l’analyse, et n’a jamais été abordé. Il n’est jusqu’à présent abordable qu’au niveau de l’analyste, pour autant qu’il serait exigé de lui d’avoir précisément traversé dans sa totalité le cycle de l’expérience analytique. »↩︎
  14. J. Lacan, « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École », dans Autres Écrits, Paris, Le Seuil, p. 252 : « La structure ainsi abrégée vous permet de vous faire idée de ce qui se passe au terme de la relation du transfert, soit : quand le désir s’étant résolu qui a soutenu dans son opération le psychanalysant, il n’a plus envie à la fin d’en lever l’option, c’est-à-dire le reste qui comme déterminant sa division, le fait déchoir de son fantasme et le destitue comme sujet. »↩︎
  15. J. Lacan, Séminaire L’Insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre, inédit, leçon du 16 novembre 1976 : « Alors en quoi consiste ce repérage qu’est l’analyse ? Est-ce que ça serait ou ça ne serait pas, s’identifier, s’identifier en prenant ses garanties, une espèce de distance, s’identifier à son symptôme ? » Pour une synthèse éclairante sur ce sujet pas si simple, on peut se reporter à l’article de Sidi Askofaré, « L’identification au sinthome », Essaim 2007/1 (n°18), Érès, p. 61-76.↩︎
  16. Le texte de référence sur la passe reste « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École », op. cit.↩︎
  17. Le nœud borroméen a été introduit par Lacan à partir de la leçon du 9 février 1972 (J. Lacan, Le Séminaire, …ou pire, Livre XIX, p. 91) et creusé abondamment dans les séminaires qui ont suivi. Dans notre École, Michel Bousseyroux en transmet quelque chose de vif, notamment dans deux livres importants : M. Bousseyroux, Au risque de la topologie et de la poésie – élargir la psychanalyse, Toulouse, Érès, 2011, et M. Bousseyroux, Lacan le borroméen – creuser le nœud, Toulouse, Érès, 2014.↩︎
  18. J. Lacan, « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien », dans Écrits, Paris, Le Seuil, 1966.↩︎
  19. Henry Purcell, air de « La lamentation de Didon », dans l’opéra Didon et Énée (1689).↩︎
  20. À propos de fatalité et de destin, on peut aussi noter que le terme arabe de mektoub, souvent traduit par destin, se rapproche bien plus de l’idée de fatalité, voire de fatalisme. Deux caractéristiques y poussent : d’une part l’étymologie qui renvoie directement à l’idée que « c’est écrit » (participe passif de kataba, « écrire, prédestiner »), et d’autre part le rattachement religieux et culturel à l’idée que c’est Dieu lui-même qui fixe à chaque homme son destin.↩︎
  21. Cf. https://www.cnrtl.fr/definition/destin, définition B.1.↩︎
  22. J. Lacan, De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, Paris, Points, coll. Essais, p. 44-47. Le postulat de Lacan sur le caractère psychogénique des mécanismes d’évolution de la personnalité revient à la même idée.↩︎
  23. S. Freud, « Pulsions et destin des pulsions », Paris, Payot & Rivages, 2012, p. 76.↩︎
  24. S. Freud, Le Moi et le Ça, Paris, Le Seuil, Points, Essais, 2015.↩︎
  25. Ibid., p. 99. « Les dangereuses pulsions de mort sont traitées dans l’individu de différentes manières : d’une part elles sont rendues inoffensives en étant mêlées à des composantes érotiques, d’autres part elles sont détournés en agression dirigée contre l’extérieur, enfin, pour une grande part elles poursuivent certainement leur travail intérieur sans empêchement. »↩︎
  26. S. Freud, « La fixation au trauma. L’inconscient », 18e conférence, (1916-1917), dans Conférences d’introduction à la psychanalyse, Paris, Gallimard, Folio Essais, 1999, p. 364.« Mais la troisième vexation, et la plus cuisante, la mégalomanie humaine doit la subir de la part de la recherche psychologique d’aujourd’hui, qui veut prouver au Moi qu’il n’est même pas maître dans sa propre maison, mais qu’il en est réduit à des informations parcimonieuses sur ce qui se joue inconsciemment dans sa vie psychique. »↩︎
  27. L’audace apparente de cette formule se soutient de la nécessité de l’hypothèse de l’inconscient pour qu’il y ait de la psychanalyse.↩︎
  28. Disons au tournant du séminaire Encore­, en 1972-1973.↩︎
  29. Voir par exemple le travail de localisation de ces jouissances dans les espaces de coincements du nœud borroméen dans le séminaire R.S.I. J. Lacan, Séminaire R.S.I., inédit, leçons des 10 et 17 décembre 1974. Pour une introduction transversale à la notion jouissance de Freud à Lacan : cf. P. Valas, Les di(t)mensions de la jouissance, Paris, Éditions du Champ lacanien, 1998.↩︎
  30. Michel Bousseyroux reprend et synthétise les éléments épars du travail « in progress » de l’enseignement de Lacan sur ce sujet de la nomination du symbolique dans son article « Position du symptôme ». Notamment : « Ce qui ne peut être nommé par le symbolique, à charge du symptôme de le nommer : il est du symbolique le “désignateur rigide”, comme dit Saul Kripke. » M. Bousseyroux, « Position du symptôme », dans Au risque de la topologie et de la poésie, Érès, 2011, p. 182.↩︎
  31. https://www.cnrtl.fr/definition/destinée↩︎
  32. J. Lacan, « Intervention à la suite de l’exposé d’André Albert », dans le cadre des journées d’étude de l’École freudienne de Paris, École de Chimie, juin 1975. Publié dans les Lettres de l’École freudienne, n°24, 1978, pp. 22-24.↩︎
  33. J. Lacan, « Télévision », dans Autres Écrits, Paris, Le Seuil, 2001, p. 535.↩︎
  34. Ibid., p. 543.↩︎
  35. P. Martin, Argent et psychanalyse, Paris, Navarin Éditeur, 1984. Merci à Michel Bousseyroux de nous avoir indiqué cette référence particulièrement précieuse pour le thème de ces Journées.↩︎
  36. Ibid., p. 188.↩︎
  37. Cf. De l’interprétation, deuxième ouvrage de l’Organon d’Aristote, traitant des propositions.↩︎
  38. J. Lacan, Le Séminaire, Livre XXEncore, Paris, Le Seuil, 1975.↩︎
  39. Ibid.cf. leçons des 13 février 1973 et 20 mars 1973.↩︎
  40. Pour aller plus loin sur les rapports entre la psychanalyse et l’écrit, on pourra lire avec profit l’article de Colette Soler qui y est consacré. Elle y fait notamment cette clarification de taille : « Tout l’effort de Lacan aura été de montrer que ces expressions avec lesquelles il reformule les modalités de la logique classique, le nécessaire, le possible, le contingent et l’impossible sont plus que métaphore, car à le suivre, l’écriture n’est pas un effet symbolique mais… réel. » C. Soler, « La psychanalyse, pas sans l’écrit », Champ lacanien, 2011/2 (n° 10), p. 9-38. URL : https://www.cairn.info/revue-champ-lacanien-2011-2-page-9.htm.↩︎
  41. « […] il y faut mettre la virgule. Le possible, c’est ce qui cesse, virgule, de s’écrire. » J. Lacan, Le Séminaire, Livre XXIIILe Sinthome, Paris, Le Seuil, 2005, p. 13.↩︎
  42. « On peut sérieusement parler de rapport non seulement quand l’établit un discours, mais quand on l’énonce, le rapport. Parce que c’est vrai que le réel est là avant que nous le pensions, mais le rapport c’est beaucoup plus douteux : non seulement il faut le penser, mais il faut l’écrire. Si vous n’êtes pas foutus de l’écrire, il n’y a pas de rapport. » J. Lacan, Le Séminaire, Le savoir du psychanalyste, inédit, leçon du 4 novembre 1971. Autrement dit, il s’agit ici que s’écrive la non-inscriptibilité d’un rapport entre les sexes.↩︎