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Ce 1er décembre à Paris, lors de notre séminaire du Champ Lacanien, le linguiste Bernard Cerquiglini, également haut fonctionnaire et membre de l’Oulipo, nous a fait l’honneur de nous livrer une présentation originale, enlevée et éclairante, à propos de la langue française.

J’en retiens essentiellement une double dualité du français, que je vous propose ici sous une forme condensée, à savoir la dualité oral/écrit et le dédoublement du vocabulaire latin.

Première dualité : les formes orale et écrite de la langue française

La langue française n’est pas une, mais elle est duelle. Elle a d’une part une forme orale et d’autre part une forme écrite, et ces deux formes sont irréductibles l’une à l’autre.

Bernard Cerquiglini a déplié pour nous la tentation multiséculaire du linguiste à vouloir réformer la langue écrite, au fond pour tendre vers l’idéal de l’équation 1 phonème = 1 graphème. Erreur !

La forme orale de la langue française jouit d’une propriété amphibologique (ou d’équivocité) importante. Par exemple, on constate que même l’expression la plus fréquente « je suis » n’est pas univoque, le « suis » pouvant provenir du verbe être ou bien du verbe suivre. Cette propriété s’explique par l’érosion syllabique produite notamment par le jeu des accents toniques des locuteurs Francs sur le vocabulaire originel du bas latin. On se retrouve alors avec un vocabulaire oral constitué de mots érodés, raccourcis phonétiquement, et qui en viennent à se télescoper, en devenant homophoniques. Évidemment, cette propriété d’équivocité ne peut pas ne pas parler à des psychanalystes.

La forme écrite du français, quant à elle, s’autonomise précisément en réaction à cette extension de l’ambiguïté de la forme orale. Elle a pris la fonction opposée : celle de clarté, de désambiguïsation, voire d’univocité. On le voit au niveau de l’orthographe dans la restitution des origines étymologiques, comme le maintien des lettres muettes finales dans le mot doigt, en référence à digitus, ou dans le mot poids, en référence à pondus.

Seconde dualité : le dédoublement lexical de la langue française

Bernard Cerquiglini nous a présenté une seconde dualité qui travaille la langue française depuis des siècles. Il s’agit d’un dédoublement lexical, spécialement dans un certain retour du français au latin.

On a vu que dans un premier mouvement, la langue française s’est constituée dans une sorte de germanisation phonique du bas latin. Ce mouvement a provoqué dans l’après-coup deux conséquences majeures : d’une part le sentiment d’une perte vis-à-vis de la langue mère, l’impression d’un créole orphelin et bourbeux, notamment chez les clercs bilingues (français et latin), et d’autre part un espace…

Et voilà où arrive le dédoublement lexical. Cet éloignement irrémédiable et consommé du français d’avec le latin a ouvert la possibilité de réintroduire des mots calqués sur le latin, spécialement dans le champ savant, là où en italien par exemple, cet espace fait défaut. Deux exemples de dédoublement lexical : le mot latin grammatica a donné en français les mots grammaire et grimoire ; potionem a donné potion et poison.

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Et en guise de poison, on mesure que c’est bien plutôt du petit-lait que nous a servi Bernard Cerquiglini, comme l’a joliment formulé Jean-Pierre Drapier. Notre invité s’est aussi prêté au jeu de répondre à nos questions, dont celles soulevées par Colette Soler qui l’accueillait, questions sur les rapports de la langue française et de l’universalisme, puis sur l’écriture inclusive, mais c’est une autre histoire…