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Les graphouillages et le jaspinable, le zi et le wen, le chinois et le japonais, l’inconscient et la talking cure.

Ce que Lacan a à nous dire en mars 1971 sur l’écrit

Pour cette soirée de notre séminaire École de l’EPFCL-France sur le Séminaire XVIII de Lacan D’un discours qui ne serait pas du semblant, surnommé parfois « le séminaire chinois », nous nous retrouvons avec Dominique Touchon-Fingerman, Angélique Walter et moi-même, pour discuter sur la deuxième partie de la leçon du 10 mars 1971, intitulée dans les éditions du Seuil « L’écrit et la parole ».

En introduction de mon commentaire de cette leçon, je vous soumets tout de suite l’hypothèse qui le travaille. On a vu dans nos précédentes séances que Lacan dit : « Je me suis aperçu d’une chose, c’est que, peut-être, je ne suis lacanien que parce que j’ai fait du chinois autrefois1 ». Pourquoi ? L’hypothèse que je vous propose à ce stade de notre lecture, c’est que sans ses années d’étude du chinois, étant donné la fonction qu’occupe le signe écrit dans cette langue, Lacan n’aurait pas été à la fois et à ce point :

  • le théoricien majeur, au niveau de l’inconscient, du signifiant et de la lettre ;
  • le « graphouilleur » qu’il fut – depuis ses graphes, ses schémas et ses mathèmes, jusqu’à ses mises à plat de nœuds et de tresses ;
  • le promoteur rigoureux d’une conception poématique de l’humain, synthétisée dans son célèbre aphorisme cinq ans après cette leçon : « je ne suis pas un poète, mais un poème. Et qui s’écrit, malgré qu’il ait l’air d’être sujet2. »

Et pour faire résonner cette hypothèse, je vous lis la citation de François Cheng, avec qui Lacan a travaillé, sur les caractères chinois qui ouvre son livre si clair et si sensible, publié en 1977, sur L’écriture poétique chinoise :

« Signes gravés sur les écailles de tortues et les os de buffles. Signes que portent sur leur flanc les vases sacrés et les ustensiles de bronze. Divinatoires ou utilitaires, ils se manifestent avant tout comme des tracés, emblèmes, attitudes fixées, rythmes visualisés. Indépendant du son et invariable, formant une unité en soi, chaque signe garde la chance de demeurer souverain, et par là, celle de durer3. »

Maintenant, concernant l’objet de cette leçon de mars 1971, Lacan ne fait pas de mystère ; rapidement il l’annonce : « Pour abattre la carte dont il s’agit aujourd’hui, nous l’appellerons, dans toute l’ambiguïté que cela peut représenter, l’écrit. » (p. 79) Puis il précise le sens du discours qu’il a tenu pendant dix ans à Sainte-Anne et le lien avec cette séance, à savoir : « dire ce qu’il me semble qu’il va de soi de pouvoir dire à des analystes […] un discours qui ne prétendait certes d’aucune façon à user de l’écrit autrement que d’une façon très précise4, qui est celle que je vais essayer aujourd’hui de définir. » (p. 79) Et il évoque sa construction « pièce à pièce » des graphes, leur difficulté d’interprétation, et les longues justifications orales nécessaires, et déclare : « avec ça, nous entrons là au vif de ce que nous pouvons dire sur l’écrit, voire sur l’écriture. » (p. 80)

En mars 1971 pour Lacan, ce thème de l’écriture s’impose sans doute pour au moins deux raisons.

D’une part, au niveau le plus rapproché dans le temps, il y a l’actualité de la traduction en japonais de ses Écrits, et donc aussi la rencontre avec la langue japonaise et ses rapports, que je qualifierais de diffractés et diffractants, comme nous le verrons, avec l’écriture. Cette actualité justifiera les deux mois de pause du séminaire, pendant le voyage au Japon. Cette séance de mars est l’avant-dernière avant son voyage et précède un certain tournant du séminaire plus appuyé vers la logique, mais pas sans l’écriture.

D’autre part, au niveau de l’ambiance intellectuelle de l’époque, entre les années 1960 et les années 1970, la question de l’écriture était devenue un sujet aigu chez les penseurs français. Lors de notre précédente séance, Michel Bousseyroux a mis pour nous en lumière la teneur et les enjeux du débat entre Lacan et Derrida sur ce sujet. À cette même époque, il y avait aussi d’autres auteurs que Lacan ne pouvait pas ne pas connaître : Roland Barthes, par exemple, avec Le Degré zéro de l’écriture (1953), Critique et Vérité (1966), ou S/Z (1970) ; Michel Foucault avec Les Mots et les Choses (1966), puis L’Ordre du discours (1971) en 1971 justement ; mais aussi Philippe Sollers, avec L’Écriture et l’Expérience des limites (1968), ou encore Julia Kristeva, avec Sèmèiôtikè (1969).

L’achose, la parole et le jaspinable

Au cours de cette leçon du 10 mars 1971, Lacan entremêle beaucoup les idées dans son propos, les évoquant souvent par touches en plusieurs fois, y revenant plus loin. Je vais essayer de démêler un peu cet écheveau, qui recèle peut-être bien certains ferments linguistico-psychanalytiques fondamentaux d’une évolution doctrinale majeure, nommément avec son concept à venir de lalangue. Lacan commence d’abord par discuter de trois notions, dont on devine qu’elles sont articulables entre elles, à savoir : sa notion d’achose, l’idée de la parole, et le quasi-concept de jaspinable.

Concernant l’achose, lors de notre dernière séance, Christelle Suc nous en a parlé en détail, avec la fonction du trou et avec son bon mot du passage du Dasein au das Ein. Donc je ne reviens pas dessus. Je souligne seulement le statut logique que Lacan lui donne ici lorsqu’il dit : « L’achose justement, ça ne se montre pas, ça se démontre. » (p. 79)

Concernant la parole, Lacan en fait grand cas dans cette leçon, avec plusieurs formules fortes, dont :

  • « la parole dépasse toujours le parleur, le parleur est un parlé » (p. 78) ;
  • « au commencement est la parole » (p. 83) ;
  • « le rapport sexuel, c’est la parole elle-même » (p. 83) ;
  • « le ton [dans la langue chinoise], c’est même l’une des façons de prouver la primauté de la parole. » (p. 88)

Michel Bousseyroux a dégagé pour nous la dernière fois ce débat sur la primauté de la parole ou de l’écrit, et le positionnement de Lacan en 1971, résolument en faveur de la primauté de la parole.

Et page 89, Lacan développe, au sujet du rapport à la parole, un cas de sa pratique tout à fait illustratif du cœur de son propos et qui nous sera utile pour la suite :

« un de mes patients, pendant cinq minutes […], a appelé sa mère ma femmeC’est pas ma femme, parce que ma femme, etc., et il a continué pendant cinq minutes, il l’a bien répété vingt fois. Qu’est-ce que ça a de manqué, cette parole ? alors que je me tue à vous dire que c’est vraiment la parole réussie. Tout de même ! Il l’a appelée comme ça parce que sa mère était sa femme, quoi ! Il l’appelait comme il fallait ! » (p. 89, stf 5 p. 44)

Qu’est-ce que Lacan veut dire quand il affirme que sa mère était sa femme ? Pour y répondre, le contexte de la leçon nous oriente de façon assez sûre vers la piste des rapports intimes et réciproques que la parole entretient avec l’écrit, comme nous le verrons.

Enfin, concernant le jaspinable, Lacan introduit ce néologisme, construit par dérivation adjectivale du verbe jaspiner, à la page 82 : « un triangle, c’est pas autre chose – mais rien d’autre – qu’une écriture, ou un écrit exactement […]. C’est un écrit, où le métriquement superposable est jaspinable. Ce qui ne dépend absolument pas de l’écrit6, ce qui dépend de vous, les jaspineurs. » (p. 82, stf p. 40)

Qu’est-ce que ça serait le jaspinable ? Pourquoi Lacan fabrique-t-il cette forme substantive adjectivale ? Dans la construction étymologique, le jaspinable serait l’ensemble des choses dont on peut parler. Mais je soutiens que le terme de jaspinable vient marquer quelque chose de plus profond, dans ce qu’il a à nous dire d’une propriété essentielle de l’écrit. On peut se faire cette idée à partir des développements de Lacan qui entourent ce néologisme, dont les trois extraits suivants :

  • « Ce qu’il y a de certain, c’est que pour parler de l’achose, comme elle est là, eh bien, cela devrait déjà, à soi tout seul, vous éclairer sur ceci, que j’ai dû prendre pour appareil, ne disons rien de plus, le support de l’écrit, sous la forme du graphe. » (p. 80)
  • « si l’écriture, ça peut servir à quelque chose, c’est justement que c’est différent de la parole – de la parole qui peut “s’appuyer sur”. » (p. 81, stf p. 40)
  • « Voilà donc l’écrit en tant que c’est quelque chose dont on peut parler. » (p. 84)

Formes et conséquences des graphouillages

Dans cette leçon, pour épingler l’écrit, Lacan redouble le néologisme du jaspinable d’un autre néologisme : celui des graphouillages7, spécialement à partir de la science.

« l’écriture […], c’est le support de la science. La science ne va pas quitter son support comme ça, c’est tout de même dans des petits graphouillages que va se jouer votre sort […]. » (p. 88)

On voit que le terme de graphouillages épingle bien quelque chose de l’essence de l’écriture, à la fois dans sa nature graphique et dans ses conséquences réelles. Et Lacan va en égrener plusieurs formes tout au long de la séance, en commençant par évoquer l’élaboration patiente à Sainte-Anne de ses graphes8, puis successivement la topologie9, la lettre10, le « pur écrit » des équations de la physique11, la logique12, et même la programmation, sur laquelle je reviens.

« Je ne m’emparerai de cette remarque, qu’il n’y aurait pas de programmation concevable sans écriture, que pour faire remarquer que, d’un autre côté, le symptôme, lapsus, acte manqué, psychopathologie de la vie quotidienne, n’a, ne se soutient, n’a de sens, que si vous partez de l’idée que ce que vous avez à dire est programmé, c’est-à-dire à écrire. » (p. 90)

Or, c’est précisément à ce moment de son discours, c’est-à-dire quand il isole que l’écriture est une condition nécessaire de la programmation, que Lacan boucle la boucle avec cette idée d’une parole programmée, qui est donc une parole à écrire. Et il l’illustre avec le dit de son analysant, en soulignant page 90 : « Bien sûr s’il écrit “ma femme” au lieu de “ma mère”, ça ne fait aucun doute qu’il y a un lapsus, mais il n’y a de lapsus que calami13, même quand c’est un lapsus linguae14. » (p. 90, stf p. 45)

Lacan saisit là l’occasion que lui donne sa remarque sur la programmation pour établir une analogie structurale entre la programmation et les formations de l’inconscient. Du côté de la programmation, il y a bien en effet deux écrits, dans deux temps successifs : d’abord l’écrit du programme, dans sa textualité compréhensible pour les programmeurs, et puis ensuite l’écrit du code binaire exécutable, avec les instructions compréhensibles par la machine et obtenues après compilation ou interprétation du programme. Pour déplier cette analogie, c’est précisément à cette étape de l’exécution, c’est-à-dire au moment de la prise de parole, que s’insère le lapsus calami : bien que le lapsus « ma femme » au lieu de « ma mère » a l’air d’être seulement proféré, ce lapsus est d’abord et avant tout un écrit exécutable, parlable, formation occasionnelle de l’inconscient à partir de l’écrit programmé qui était déjà là.

Voilà donc comment Lacan essaie de nous faire sentir cette propriété, fondamentale pour la psychanalyse, de l’écriture dans son rapport à la parole, telle qu’il l’avait annoncée sept pages plus tôt quand il disait : « Qu’est-ce que ça veut dire l’écriture ? […] l’écriture, […] c’est quelque chose qui, en quelque sorte, se répercute sur la parole. » (p. 83)

Les figures et les mots : les cas du chinois et du japonais15

Nous venons de voir qu’il y a un double mouvement : d’une part la parole est première par rapport à l’écriture, et d’autre part l’écriture se répercute sur la parole. Dans la suite de la leçon, Lacan va creuser plus avant cette double idée, grâce aux apports de la langue chinoise et de la langue japonaise, notamment par le truchement du concept de représentation de mots et de celui de figure.

Les représentations de mots

Lacan commence par une charge critique au sujet des représentations de mots, d’abord contre Freud, à propos du processus secondaire, puis contre Derrida, sans le nommer16, à propos de la primauté de la parole, et enfin contre l’auteur de l’un des premiers dictionnaires chinois 说文解字 Shuōwén jiězì, le philosophe 许慎 Xǔ Shèn17, à propos de la figurativité supposée des caractères. Cette charge critique plurielle vise à rétablir l’identité entre la représentation de mots et l’écriture.

  1. « l’écriture, c’est des représentations de mots. » (p. 86)
  2. « Wortvorstellung. Freud écrit ça, et il dit que […] c’est le processus secondaire. […] on voit bien ici que Freud n’est pas d’accord avec Lacan. […] vous avez des pensées […] Alors vous vous imaginez que vous vous représentez des mots. C’est à se tordre ! Parce que soyons sérieux : la représentation de mots, c’est l’écriture18 ! » (p. 86, stf p. 42)

Ces deux extraits posent l’équivalence de façon très claire : la représentation de mots, c’est l’écriture ; et l’écriture, c’est des représentations de mots19.

Les figures

L’ensemble de ces critiques permet à Lacan de situer plus précisément les représentations de mots d’abord comme des signes écrits, dans un premier temps de son propos, puis, dans un deuxième temps, comme des figures. En effet, avec ce recadrage sur la définition de l’écriture, on peut déduire que, dans la suite, Lacan franchit le pas de poser en plus une analogie entre les figures qui se trouvent dans les langues idéophonographiques20 d’une part et les figures qui se trouvent dans les rêves d’autre part.

  • « La représentation de mots, c’est l’écriture. […] Considérons toutes les langues qui usent de quelque chose qu’on peut prendre pour des figures, et qu’on appelle je ne sais comment, des pictogrammes, des idéogrammes. » (p. 86)
  • « […] ces figures qui se baladent dans les rêves. Dès que nous savons que ce sont des représentations de mots, puisque que c’est un rébus, ça se traduit […] » (p. 89)

Concernant l’hésitation de Lacan entre les termes de pictogramme et d’idéogramme, j’en dirai quelque chose plus loin, avec les idéophonogrammes21 et les graphèmes.

Les figures en chinois se prononcent

À ce stade de cette leçon sur l’écrit, et à partir de sa mise en valeur de la notion de figure, Lacan revient naturellement sur la langue chinoise, son histoire, son écriture, sa prononciation et l’enjeu pour son propos.

  • « Pictogramme, idéogramme, quel qu’il soit, si nous étudions une écriture, c’est uniquement en ceci – il n’y a aucune exception – c’est que, du fait de ce que cet écrit a l’air de figurer, il se prononce comme ça. » (p. 86)
  • « Du fait qu’il a l’air de figurer votre maman avec deux tétines, il se prononce 母 . Et après ça, vous en faites tout ce que vous voulez. Tout ce qui se prononce . Alors, qu’est-ce que ça peut foutre, qu’il ait deux tétines et qu’il soit votre maman en figure ? » (p. 86, audio22)

D’abord, une remarque visera à rectifier un point de la transcription aux éditions du Seuil. Lacan introduit un premier caractère chinois, en parlant de « voir votre maman en figure », et en évoquant ses « deux tétines ». L’établisseur du texte au Seuil a transcrit ce mot page 86 par 惡 , qui signifie haïrdétester. Or, le commentaire de Lacan sur la figuration maternelle ainsi que l’enregistrement audio ne laissent aucun doute : il s’agit en réalité du caractère 母 , qui signifie mère et dont l’explication habituelle de la graphie mentionne en effet la présence des deux points comme figurant les deux mamelons (cf. figure 1). Malheureusement, les erreurs de transcription des caractères chinois sont très nombreuses dans l’édition du Seuil de ce dix-huitième séminaire de Lacan ; il faut le redire.

Figure 1. Mythe idéographique : exemple typique d’explication captieuse de l’étymologie graphique d’un sinogramme, ici 母 , d’une « scène d’origine » au caractère sous sa forme actuelle, extrait de Wiktionnaire23

Ensuite, une seconde remarque portera sur le rapport des caractères à la figuration et à la parole. Dans ce passage sur le caractère 母 , Lacan ironise déjà sur l’idée naïve d’une ressemblance entre un caractère et un référent. Il tente ici de dénoncer le préjugé purement figuratif ou iconiciste qui pèse sur le graphisme des caractères chinois, et de faire valoir l’importance primaire du rapport de ces caractères à la parole, en insistant sur le fait essentiel que le caractère 母  implique une prononciation24. Cette charge de Lacan25 allait déjà dans le même sens que la thèse défendue par le très bon livre L’écriture chinoise26, paru en 2022 et recommandé opportunément la dernière fois par Michel Bousseyroux. Son autrice, Zhitang Yang-Drocourt, annonce en effet son objectif de démystification dès le sous-titre de la couverture – « Au-delà du mythe idéographique » –, et démontre tout au long de son ouvrage, concernant l’écriture chinoise, la prédominance de l’aspect phonogrammatique27. Pour illustrer cet aspect phonogrammatique, prenons l’un des exemples qu’elle donne28. La décomposition du caractère 湖  « lac » donne 氵+ 胡, soit le graphème 氵 shuǐ « eau », qui donne sa valeur sémantique au mot lac, associé au graphème 胡  « Barbare du Nord », qui, lui, ne transmet pas de valeur sémantique, mais donne au mot lac sa valeur phonétique .

L’un des premiers dictionnaires étymologiques chinois et l’écrit-civilisation

Après l’introduction du caractère 母 , toujours page 86, Lacan évoque 许慎 Xǔ Shèn, l’inventeur de l’un des premiers dictionnaires chinois29, publié au début du IIe siècle (en 121, après 20 années d’efforts), et surtout glose sur le nom de ce dictionnaire, 说文解字 Shuōwén jiězì, et sur le caractère 文 wén, qu’il contient.

  • « ça s’appelle le “Shuōwén” [说文], c’est-à-dire justement le “Ce qui se dit, en tant qu’écrit”. » (p. 86)
  • « Car 文 wén, c’est “écrit”, hein ? Voilà ! Tâchez quand même de l’écrire, parce que pour les Chinois c’est le signe de la civilisation. Et en plus, c’est vrai. » (p. 86-87, stf p. 43)

Concernant cet ouvrage majeur et si souvent cité, le 说文解字 Shuōwén jiězì, il y aurait beaucoup à dire, beaucoup trop, donc je vais isoler quelques points seulement pour nous ce soir.

  • Le nom 说文解字 Shuōwén jiězì a été traduit de beaucoup de façons différentes. La traduction proposée ici par Lacan, « ce qui se dit, en tant qu’écrit », ne tient compte que de la première partie du nom, 说文 Shuōwén. Cette traduction tronquée lui permet de souligner le cœur de son propos, à savoir les liens entre la parole et l’écrit, par exemple le « lapsus calami », dit parce qu’écrit. En réalité, la traduction complète littérale serait plutôt : « expliquer les graphies et analyser les mots écrits30 », c’est-à-dire expliquer le wén 文 et analyser le  字.
  • Et justement, à propos de la distinction entre le wén et le , qui renvoient tous les deux à l’écrit, il y a eu et il y a encore des débats assez vifs. Retenons que le wén se situe du côté de l’aspect scriptural, donc du graphouillage, tandis que le  se situe du côté de l’aspect lexical31, c’est-à-dire du mot en tant que jaspinable32. Et comme Lacan l’accentue, le mot 文 wén possède en effet deux sens importants dans la langue chinoise : 文 wén signifie bien à la fois écrit et civilisation33.
  • Coïncidence amusante : vous avez dans le nom 说文解字 Shuōwén jiězì une illustration complète des quatre tons employés en mandarin et dans l’ordre habituel : 说 shuō1, aïgu et maintenu , 文 wén2, ascendant, 解 jiě3, grave et descendant puis ascendant, et 字 zì4, descendant et sec.
  • Lacan souligne ici à nouveau l’importance du ton, pour une même syllabe : « Cela n’a pas du tout le même sens, mais je tiens d’un homme fort lettré que ça tient de la place dans la conscience linguistique. » (p. 88)

Concernant le 文 wén, c’est dans le livre de François Cheng sur l’écriture poétique chinoise que j’ai trouvé les développements les plus intéressants. Je vous en restitue quelques extraits. D’abord sur l’extension de la définition du 文 wén, cohérente avec la remarque de Lacan sur ses deux sens d’écrit et de civilisation.

« Liu Xie (c. 465-520) composa son célèbre Wén-xīn diāo-lóng (« Dragon sculpté sur le cœur du wén ») […] considéré à juste titre comme le plus important de la stylistique traditionnelle chinoise. […] L’idée de base en est le 文 wén, qu’on traduit ici par littérature. De fait, le mot recouvre des sens bien plus étendus. Il désigne à l’origine le signe écrit, puis par extension tout texte composé, et par suite encore, culture et civilisation.34 »

Après cet élargissement de la définition du 文 wén, François Cheng cite un passage de l’ouverture de ce traité 文心雕龙 Wén-xīn diāo-lóng qui résonne avec ce que Lacan développe dans ces années 1970, notamment sur l’habitat, dont nous reparlerons.

« Les vertus du wén sont immenses assurément ; celui-ci n’est-il pas né en même temps que Ciel et Terre ? […] Tout ceci n’est autre que le wén du Dào. […] Quand bien même les êtres privés de conscience sont riches de tant de beautés signifiantes, combien davantage celui qui est doué d’esprit ne doit-il pas être habité35 par le wén36? »

Pour l’écriture, ils en savaient un bout

Dans la conclusion de ce passage sur l’écriture chinoise, on voit que Lacan s’est informé sur l’histoire de l’écriture et sur l’histoire chinoise plus largement, puisqu’il cite les noms de plusieurs dynasties. Surtout, il déduit que la longévité des caractères chinois est la preuve d’un savoir propre sur l’écriture.

« Il y a une chose marrante, n’est-ce pas ? C’est que, quand même, on les a, ces signes, depuis les yin37. Ça fait une paie, n’est-ce pas ? Ça fait encore là deux mille ans de décrochés, mais d’avant, n’est-ce pas ? Et on en a encore, de ces signes. Ce qui prouve que, quand même, pour l’écriture, ils en savaient un bout. » (p. 87)

Lacan avait bien remarqué en effet que l’écriture chinoise est la seule des quatre écritures aussi anciennes (14 siècles avant notre ère quand même !) à avoir passé l’épreuve du temps jusqu’à notre époque et à être restée vivante, c’est-à-dire parlée. Les trois autres qui n’ont pas survécu étaient les cunéiformes Sumériens, les hiéroglyphes égyptiens et les glyphes Maya38. Et cette preuve de bout de savoir chinois sur l’écriture l’interpelle. J’ajoute que si l’écriture chinoise s’est maintenue dans le temps, elle s’est aussi diffusée dans l’espace, puisque plusieurs autres langues l’ont partiellement intégrée : le japonais, dont nous allons parler un peu, le coréen et le vietnamien.

La langue japonaise travaillée par l’écriture chinoise

Lacan évoque en effet dans cette leçon une autre langue qui l’interpelle également, la langue japonaise, pour des raisons différentes, et surtout dont il tire pour nous des conséquences différentes.

  • « Quand vous vous serez un peu frottés à une langue comme […] la langue japonaise, eh bien, vous vous apercevrez de ce qu’une écriture, ça peut travailler une langue » (p. 91)
  • « […] cette langue mélodieuse, […] merveilleuse de souplesse et d’ingéniosité. » (p. 91)
  • « Quand je pense que c’est une langue où les adjectifs se conjuguent, et que j’ai attendu jusqu’à mon âge pour avoir ça à ma disposition, je ne sais vraiment pas ce que j’ai fait jusqu’ici. Moi, je n’aspirai qu’à ça, que les adjectifs se conjuguent. » (p. 91)

Je passe sur la conjugaison des adjectifs, pour aller directement au passage qui traite du fait linguistique japonais majeur qui permet à Lacan d’affiner son articulation entre l’écrit et la parole, à savoir : la dualité des prononciations on-yomi (音読み) et kun-yomi (訓読み)39. « Ce qu’on appelle le monème, là, au milieu, lui, vous pouvez le changer. Vous lui foutez une prononciation chinoise, tout à fait différente de la prononciation japonaise, de sorte que, quand vous êtes en présence d’un caractère chinois, vous le prononcez on-yomi ou kun-yomi selon les cas, qui sont toujours très précis, […] mais naturellement il n’y a que les naturels qui le savent. » (p. 91) Puis il continue avec une remarque de prononciation plus délicate encore40, sur laquelle je passe.

Pour illustrer cette dualité de prononciation, très certainement que Lacan a dû utiliser un exemple au tableau dans cette séance, puisqu’il dit « le monème, là, au milieu », mais je n’ai pas retrouvé cet exemple, ni au Seuil ni dans l’édition de Staferla. Je vous propose donc autre chose, un exemple fait pour l’occasion, avec une phrase japonaise qui emploie deux fois le caractère kanji (漢字) assez connu qui dénote la montagne, à savoir le mot 山 shān en mandarin. Dans cet exemple, la première occurrence du kanji 山 shān est lue on-yomi « san » [さん] dans 富士山 Fujisan, et qui ressemble à la prononciation chinoise. La seconde occurrence du kanji 山 shān est lue kun-yomi « yama » [やま] dans 山です yama-desu, reprenant la prononciation japonaise traditionnelle.

  • Le mont Fuji est une montagne célèbre.
  • Fujisan-wa yūmei-na yama-desu. [translittération en rōmanji (ローマ字)]
  • 富士山は有名な山です。
  • 富士 Fuji 山 mont は (flexion) 有名 célèbre な (flexion) 山 montagne です est。

Sur le plan historique, il faut savoir que la langue japonaise a commencé à s’écrire assez tardivement et de façon progressive, puisqu’elle est restée une langue purement orale, sans écriture, jusqu’au IVe siècle, et que le premier livre japonais connu date seulement du VIIIe siècle41. Il y a d’abord eu une importation des caractères chinois, appelés kanjis en japonais (littéralement « les caractères des Hans »), via des moines qui étaient allés se former en Chine au taoïsme ou au bouddhisme42. Depuis cette époque, les kanjis peuvent recevoir deux types de prononciations : soit en partant du signifié du kanji, une prononciation japonaise du signifié ou d’un des signifiés, dite Kun, ancrée dans la langue orale japonaise déjà là, soit en reprenant la prononciation originelle ou l’une des prononciations originelles du kanji, une dérivation de la prononciation chinoise donc, dite On, ancrée dans l’écrit. Autre exemple : le caractère 人 rén que nous avons vu et qui signifie un humain ou une personne, se dit « hito » [ひと] (connotation de personnalité ou d’espèce humaine) dans la prononciation kun, notez qu’il y a deux syllabes, et « jin » [ジン]43 (connotation d’individu) ou « nin » [ニン] (connotation de caractère d’humanité) dans les prononciations on, proches de la prononciation chinoise « rén », et qui respecte le monosyllabisme chinois.

Lacan reprendra cette dualité des prononciations on-yomi et kun-yomi, de retour de son voyage au Japon, dans son texte « Lituraterre44 ». C’est donc important dans sa pensée. Seulement ici, on ne peut pas comprendre ce qu’il cherche à nous dire si on n’a pas de notions de japonais.

Par ailleurs, ce que Lacan ne dit pas explicitement mais qui compte quand il avance que « la langue japonaise s’est nourrie de son écriture, […] c’est-à-dire toujours dans l’écrit », c’est qu’en plus de l’import des kanjis, les japonais ont ensuite en effet produit deux écritures supplémentaires45, avec d’autres signes écrits, appelés kanas (仮名). Ces deux autres écritures notent uniquement la prononciation, à l’aide de deux syllabaires : le Hiragana (平仮名) et le Katakana (片仮名).

L’un des points frappants est que, dans l’écriture des phrases japonaises, ces deux syllabaires ne s’emploient pas à part mais conjointement avec les kanjis importés de l’écriture chinoise46. Alors, pour écrire en japonais, quand utilise-t-on les kanjis ou les kanas ? Les kanjis sont utilisés électivement pour noter les termes qui ont un poids sémantique important. Le syllabaire Hiragana, cursif, est utilisé essentiellement pour écrire les terminaisons et les petits mots grammaticaux, d’où la référence de Lacan aux flexions qui « ont ceci d’absolument merveilleux qu’elles se promènent toutes seules » (p. 91), tandis que le syllabaire Katakana, plus anguleux, sert plus simplement à transcrire les mots d’origine étrangère47. Voici une illustration de l’emploi des hiraganas dans l’écriture, en reprenant notre exemple du mont Fuji qui permet de voir à la fois une translittération en Hiragana et en Rōmanji (avec notre alphabet latin), et surtout comment ces caractères hiraganas syllabiques s’insèrent dans l’écriture de la phrase autour des caractères kanjis logographiques.

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Tableau 1. Illustration de l’usage conjoint des hiraganas syllabiques (soulignés) et des kanjis logographiques.

Autrement dit, dans la langue japonaise, à partir de l’introduction des caractères chinois, les kanjis, est apparu un premier bilinguisme, celui des prononciations On et Kun. Ce premier bilinguisme dans la parole à partir du signe écrit s’est ensuite redoublé d’un second bilinguisme dans l’écriture de la parole, avec l’apparition et l’usage des deux syllabaires Hiragana et Katakana. Le japonais donne donc en effet un exemple tangible et éclairant, où l’écrit touche à l’écrit, par la parole.

Représentation et répercussion

Dans cette séance, Lacan utilise le terme de « répercussion ». À ce stade de ma lecture, je dirais d’une part que ce type de « répercussion » relève justement de l’idée que de l’écrit peut toucher à l’écrit en passant par la parole, comme dans le cas du japonais, et d’autre part que cette idée nous concerne, comme le montre la thèse du lapsus calami. De façon plus générale, on peut dire que cette répercussion concerne la psychanalyse parce que justement la psychanalyse est une pratique de parole dont on attend un changement au niveau de ce qui ne cesse pas de s’écrire, de ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire, et donc éventuellement aussi au niveau de la possibilité que du nouveau s’y écrive.

Bien sûr, une parole qui soit susceptible de toucher à l’écrit, ou au « programme », ne peut pas être n’importe quelle parole. Et si l’on se souvient que l’équivoque, si centrale dans notre pratique, trouve souvent aussi à se soutenir de l’écriture, et de la remarque de Lacan sur le lapsus toujours calami, alors nous pouvons commencer à prendre une idée sur ce type particulier de parole qui « [use] de l’écrit […] d’une façon très précise48 ». (p. 79)

Ici, Lacan situe plus précisément l’idée de répercussion de l’écriture sur la parole dans un double mouvement de détermination : « Du fait d’être cette représentation de la parole […], l’écriture est quelque chose qui se trouve ne pas être simple représentation. Représentation signifie aussi répercussion, parce qu’il n’est pas du tout sûr que, sans l’écriture, il y aurait des mots. C’est peut-être la représentation qui les fait en tant que tels, ces mots49. » (p. 91, stf p. 45, audio)

De mon point de vue, cette idée de double mouvement de représentation et de répercussion entre écriture et parole contribue à permettre à Lacan de soutenir l’idée qu’au niveau de l’inconscient, le langage et l’écrit coexistent. Il défend clairement cette coexistence une page plus tôt : « Que le rêve soit un rébus, dit Freud, c’est pas ça qui me fera démordre un seul instant que l’inconscient est structuré comme un langage. Seulement, c’est un langage au milieu de quoi est apparu son écrit. » (p. 89)

Notons que cette thèse de la coexistence du langage et de l’écrit s’inscrit dans un rapport d’habitation, ici formulé par « au milieu de quoi ». Ce rapport d’habitation fait d’abord écho, en amont, aux évocations précédentes de « l’habitat de la parole50 » (p. 83) du début de la séance, et à la formule de « ce qui habite le savoir mythique51 » du séminaire précédent, L’envers de la psychanalyse ; et ensuite, en aval, se préparent les remarques de « Lituraterre » sur la lettre et le signifiant52, et déjà aussi les néologismes de « L’étourdit » un an plus tard sur labiterstabitat et labitant53, jusqu’à la réaffirmation cruciale et synthétique de cette coexistence dans ce même texte de « L’étourdit », cette fois-ci sous les espèces de l’inconscient et de lalangue (en un seul mot) : « […] l’inconscient, d’être “structuré comme un langage”, c’est-à-dire lalangue qu’il habite, est assujetti à l’équivoque dont chacune se distingue54. »

On voit donc comment cette leçon précise les rapports réciproques de l’écrit et de la parole. Lacan y fait plusieurs autres évocations très importantes, que je n’ai pas le temps de développer ce soir, je les indique seulement :

  • l’adhérence de l’écriture55 (p. 88) ;
  • le rôle clé de l’écriture pour la barre de Saussure56 (p. 92) ;
  • la critique de l’arbitraire du signe57 (p. 89 et 92) ;
  • l’importance du « nonsense » (p. 89, audio), que la transcription au Seuil note malheureusement en français58 ;
  • le rôle des représentations de mots dans les pensées de l’inconscient59 (p. 89) ;
  • l’absence de métalangage60 (p. 92), dont Lacan dira plus tard, dans le séminaire Encore, que c’est de son dire61.

Le souffle dans le cœur, la parole et les mots justes

Pour ce soir, cette moitié de leçon du Séminaire XVIII nous aura peut-être permis de peser un peu plus en quoi la langue chinoise et la langue japonaise ont orienté Lacan dans sa façon de penser, à partir de leurs rapports spécifiques avec la parole et avec l’écrit, rien de moins que l’inconscient et la psychanalyse, jusqu’au « poème […] qui s’écrit, malgré qu’il ait l’air d’être sujet62 ».

Alors pour conclure, je vous lis un passage extrait de l’important ouvrage de poétique chinoise plus connu sous le nom Bunkyō Hifuron (文鏡秘府論) en japonais, ou 文几米福 Wén-jǐ mǐ-fú en chinois (« Trésors cachés derrière le miroir du wén »)63, écrit vers 806 par le moine japonais 空海 Kūkai à son retour de Chine après y avoir, selon son désir, étudié le bouddhisme, la poésie chinoise et la calligraphie, spécialement auprès du vieux moine bouddhiste 惠果 Huìguǒ qui l’a reconnu. C’est un passage dans lequel il rapporte ce qu’est la démarche du wén, dont il a tant été question dans cette leçon.

« Lorsque l’idée d’un poème surgit chez un poète, elle ébranle d’abord en lui le souffle. Celui-ci prend son essor dans le cœur. Ce qui naît et mûrit dans le cœur se transmue en parole, laquelle sera entendue par l’oreille, captée par la vue et finalement traduite en mots justes que le poète consignera sur le papier. Bien plus inspiré que le commun des mortels, le poète doit être en mesure d’intégrer dans son œuvre ce que les Anciens ont créé, tout comme ce que son propre esprit comporte de ciel et de mer64. »


  1. J. Lacan, Le Séminaire, Livre XVIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant, Paris, Seuil, 2007 [1971], p. 36.↩︎
  2. J. Lacan, « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001 [17 mai 1976], p. 572.↩︎
  3. F. Cheng, L’écriture poétique chinoise, Paris, Seuil, Points, Essais, 1996 [1977], p. 11.↩︎
  4. C’est moi qui souligne.↩︎
  5. Pour certaines citations, la retranscription de l’édition Staferla est beaucoup plus éloquente, ce qui est le cas ici pour la fin de cette citation. Chaque fois que ce sera le cas dans la suite, ce sera signalé par l’abréviation « stf ». Cf. http://staferla.free.fr/S18/S18%20D’UN%20DISCOURS…pdf.↩︎
  6. L’établisseur du texte du séminaire au Seuil, J.-A. Miller, fait une erreur de retranscription ici : il s’agit bien de l’écrit et non pas de l’écart.↩︎
  7. Et de la même manière qu’il vient de parler des jaspineurs, Lacan parle aussi des « types » comme lui qui « graphouillent ». Aux éditions du Seuil, l’orthographe retenue pour la transcription a opté pour la lettre f, mais j’ai préféré retenir ici l’orthographe qui utilise ph pour rester plus proche du thème de cette leçon sur l’écriture et en particulier sa dimension graphique, si prégnante dans les caractères chinois.↩︎
  8. « Avec une patience, un ménagement, une douceur, des ronds de bras, des ronds de jambe, j’ai construit pour eux pièce à pièce, et morceau par morceau, des choses qui s’appellent des graphes. » Dans J. Lacan, D’un discours qui ne serait pas du semblantop. cit., p. 80.↩︎
  9. « Ça [la topologie] consiste précisément à faire des trous dans l’écrit. » Ibid., p. 81.↩︎
  10. « […] le comble de l’écrit, c’est-à-dire une lettre toute simple. » Ibid., p. 82.↩︎
  11. « Un moment scientifique, ça se caractérise par un certain nombre de coordonnées écrites, au premier rang desquelles la formule que M. Newton a écrite, concernant ce dont il s’agit sous le nom de champ de la gravitation, et qui n’est qu’un pur écrit. » Ibid., p. 84, stf p. 42.↩︎
  12. « […] il y a des gens qui se sont imaginé qu’avec de la logique, c’est-à-dire de la manipulation de l’écriture, on trouverait un moyen pour avoir quoi ? New ideas, de nouvelles idées, comme s’il n’y en avait pas déjà assez comme ça. » Ibid., p. 86.↩︎
  13. Définition du Robert : « Un calame est un roseau taillé en pointe, utilisé pour écrire avec de l’encre. »↩︎
  14. On se rappellera que dans l’ouvrage Psychopathologie de la vie quotidienne, la traduction de référence de Samuel Jankélévitch de 1922, autorisée et revue par Freud lui-même, a précisément utilisé ces termes de lapsus linguae et de lapsus calami (pour Versprechen et Verschreiben, respectivement). Citons un extrait avec lequel Lacan pourrait débattre dans cette séance : « […] on observe le même état de choses dans beaucoup de cas de lapsus linguae et de lapsus calami. Toutes les fois où nous commettons l’un ou l’autre de ces lapsus, nous devons conclure à un trouble produit par des processus psychiques qui échappent à nos intentions, mais nous devons aussi admettre que le lapsus de la parole ou de l’écriture obéit souvent aux lois de la ressemblance […] ». Dans S. Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne, Paris, Petite bibliothèque Payot, 1972 [1901], p. 238.↩︎
  15. Je remercie chaleureusement ici les deux personnes qui ont bien voulu vérifier et corriger les passages linguistiques de ce travail : YANG Yi pour les éléments chinois, et Shinobu Tanaka pour les éléments japonais.↩︎
  16. « […] représentation de mot, ça veut dire quelque chose, ça veut dire que le mot est déjà là, et avant que vous en fassiez la représentation écrite, avec tout ce qu’elle comporte. » Ibid., p. 87. Pour plus de détails sur cette querelle avec Derrida, voir l’exposé de Michel Bousseyroux du mois dernier sur la même leçon : « Lacan sinéphile. Réponse à un chinoiseur. »↩︎
  17. « Parce qu’il a encore des préjugés, le cher mignon, il s’imagine qu’il y a des signes écrits qui ressemblent à la chose que le mot désigne. » Ibid., p. 87. S’ensuivent des sarcasmes avec les participants à propos du caractère bien connu 人 rén quant à savoir si on peut le concevoir comme la figuration d’un homme ou d’un phallus ou d’un entre-jambe, après avoir demandé : « en quoi est-ce une image de l’homme ? » Ibid., p. 87.↩︎
  18. La fin de la citation retranscrite ici reprend celle de l’édition Staferla, plus proche de l’enregistrement audio et plus juste ici avec ses points d’exclamation et la conjonction causale « parce que ».↩︎
  19. Une remarque sur cette critique de Lacan à Freud. La notion de Wortvorstellung, représentation de mot, opposée à celle de Sachevorstellung, représentation de chose, est développée dans le texte de Freud de 1915 « L’inconscient », dans Métapsychologie, pour fonder la distinction de la première topique entre les systèmes Cs et Pcs d’un côté et le système Ics de l’autre, mais émerge déjà dans son travail sur les aphasies en 1891 (« Contribution à la conception des aphasies : une étude critique »), puis se retrouve dans L’interprétation du rêve (notamment dans le chapitre 6 sur le travail du rêve). Le point de discordance porte sans doute sur l’incompatibilité apparente entre l’exclusion freudienne de la Wortvorstellung dans l’Ics, et la doctrine lacanienne selon laquelle l’inconscient est structuré comme un langage. Lacan avait déjà évoqué cette difficulté théorique apparente dans son séminaire L’éthique, spécialement lors de ses leçons des 9 et 16 décembre 1959, dans lesquelles il pose une distinction entre l’opération du langage comme fonction et la fonction du langage comme structure. J’y renvoie.↩︎
  20. La langue chinoise comme langue idéophonographique ne pouvait qu’intéresser Lacan, au moins au titre de ce qu’en dit François Cheng dans L’écriture poétique chinoise : « l’ensemble des idéogrammes, par les rapports qu’ils ont avec les choses désignées et entre eux-mêmes, constituent un système métaphoro-métonymique. Chaque idéogramme est, d’une certaine manière, une métaphore en puissance. » F. Cheng, L’écriture poétique chinoiseop. cit., p. 94. Il n’y a pas la place pour développer ce point ici mais il mérite d’être indiqué.↩︎
  21. Zhitang Yang-Drocourt, L’écriture chinoise, au-delà du mythe idéographique, Malakoff, Armand Colin, 2022. La typologie classique (notée ici dans les caractères traditionnels du 说文解字 Shuōwén jiězì et avec les caractères simplifiés modernes entre parenthèses quand différents) de 许慎 Xǔ Shèn, l’ancien philosophe cité par Lacan dans cette leçon, avance six 六書 (六书) liù shū, soit les « six façons de mettre par écrit » qui ont prêté à beaucoup de débats : 指事 zhǐ shì, « se référer [pictoriellement] à quelque chose » ; 象形 xiàng xíng, « symboliser une forme physique » ; 形聲 (形声) xíng shēng, « indiquer la forme et la prononciation » ; 會意 (会意) huì yì, « associer des idées » ; 轉注 (转注) zhuǎn zhù, « gloser en tournant » ; 假借 jiǎ jiè , « emprunter [une graphie pour une autre] ». YANG-DROCOURT Zhitang (杨志棠) indique dans son livre (p. 92) qu’elle retient plutôt la typologie ternaire contemporaine de QIÚ Xīguī (裘锡圭), typologie dont la traduction anglaise résonne avec le néologisme de Lacan « graphouillages » : « semantographsphonographs et loadgraphs » ; soit en français : « sémantogrammes, phonogrammes et emprunts ». Donc exit à la fois les termes d’idéogrammes et de pictogrammes. Ce qu’on peut dire aujourd’hui, c’est que la plupart des caractères chinois sont des idéophonogrammes. Cf. discussion plus bas.↩︎
  22. La retranscription du Seuil avec le caractère 惡  était incompréhensible. Celle de Staferla pas davantage, reprenant  aussi. Merci à Simge Zilif d’avoir retrouvé la correction de cette erreur calami patente, à partir de l’audio de séminaire vers 56’20. L’erreur est discutée plus bas. https://youtu.be/qMhX73pTdsc?si=ujKyWIiOiCEFmMcV&t=3384.↩︎
  23. https://fr.wiktionary.org/wiki/%E6%AF%8D. Ce tableau d’étymologie graphique comporte de plus une confusion dans la 4e étape : 六书统 Liùshū tǒng n’est pas une écriture mais un ouvrage, tardif (dynastie 大元 Yuán 1279-1368), qui ne constitue pas une étape de l’évolution. La 4e grande étape généralement retenue est « l’écriture des fonctionnaires » ou « écriture de chancellerie », 隶书 Lì shū, bien antérieure (sous la dynastie des 汉 Hàn, 206 av. J.-C. – 220 apr. J.-C.). Le caractère correspondant est plus anguleux et plus large que haut, préparant la forme actuelle. Cf. http://img.guoxuedashi.net/zixyb/5/A02098m001.png.↩︎
  24. « […] il se prononce 母 . Et après ça, vous en faites tout ce que vous voulez. Tout ce qui se prononce . » (J. Lacan, D’un discours qui ne serait pas du semblantop. cit., p. 86, citation rectifiée de 惡  en 母 ).↩︎
  25. Lacan avait sans doute connaissance de l’émerveillement de Leibniz pour l’écriture chinoise (notamment suite à ses échanges avec les jésuites Claude Grimaldi et Joachim Bouvet) et de son projet utopique d’établir une écriture universelle indépendante de la langue parlée, soit purement idéographique, via la « Caractéristique », discipline où chaque caractère est un signe écrit qui renvoie à une idée ou à une chose. Voir les travaux de Marie-Julie Maître, spécialement « Le rôle de l’écriture chinoise dans le projet leibnizien de langue universelle. Préliminaire d’une analyse », Colloque international « Échanges culturels d’aujourd’hui : Langue et littérature », Tamkang University, Taiwan, 2017, p. 75-90.↩︎
  26. Z. Yang-Drocourt, L’écriture chinoiseop. cit,. p. 218. L’autrice balaie le mythe idéographique après son analyse historique de l’évolution des caractères chinois : « à quelques exceptions près, les graphies originelles de ces “sémantogrammes à graphème unique” ont été définitivement altérées, dénaturées, faussées, et cela ne date pas d’hier. […] Dès que l’écriture a abandonné son iconicité, la plupart des sémantogrammes sont devenus immotivés […] il est devenu impossible à la postérité de comprendre pourquoi on [les] écrit ainsi. […] [Les caractères qu’on peut considérer comme motivés] ne forment même pas 1% de notre corpus ».↩︎
  27. « L’élément décisif qui permet de considérer que l’écriture chinoise entre progressivement dans l’ère du phonétisme réside dans les faits que, de plus en plus, les nouvelles créations ne se font plus par ajout ou transformation, mais par l’association directe de deux caractères, l’un assumant la fonction de sémantique et l’autre, celle de phonétique. » Ibid., p. 100.↩︎
  28. Cf. tableau 24. Ibid., p. 215.↩︎
  29. Bien que le 说文解字 Shuōwén jiězì soit souvent présenté comme le premier dictionnaire, il existe des dictionnaires antérieurs, notamment le 爾雅 Ěr yā, composé dans les derniers siècles av. J.-C.↩︎
  30. Z. Yang-Drocourt, op. cit., p. 88, citant la traduction de Françoise Bottéro, « Théories chinoises sur l’écriture », in Dossiers d’HEL, SHESL Écriture(s) et représentations du langage et des langues, 9, 2016, p. 6-20.↩︎
  31. Incidemment, le mot composé 文字 wénzì, qui accole les deux caractères, peut signifier jeu de mots, proche du mot d’esprit au sens freudien donc, mais aussi logiciel, ou encore hiéroglyphe. Cette polysémie serait à étudier de plus près.↩︎
  32. « I have tried to show that the use of wén and  in Xu Shen’s work reveals a fundamental distinction between graphic structure on the one hand, and the writing system on the other. Making this distinction constituted a fundamental step in a development of the Chinese linguistics. » Françoise Bottéro, « Revisiting the wén 文 and the  字: The Great Chinese Characters Hoax », BMFEA 74, 2002, p. 31.↩︎
  33. Du reste, on peut défendre l’idée que le sentiment d’appartenance pour les Chinois en général ne repose pas comme pour les Français, depuis le XVIe siècle, sur la langue unificatrice, mais sur l’écriture, car c’est elle qui reste la même partout, alors qu’il y a une grande diversité de langues parlées différentes et incompréhensibles les unes pour les autres (Mandarin, Wu, Cantonnais, Min, Xiang, Hakka, Gan, etc.). C’est dans ce sens qu’on peut dire que c’est l’écriture, 文 wén, qui fait pour les Chinois, de manière prédominante, civilisation, 文 wén aussi.↩︎
  34. F. Cheng, L’écriture poétique chinoiseop. cit., p. 87.↩︎
  35. C’est moi qui souligne.↩︎
  36. Ibid., p. 88.↩︎
  37. La référence à ces Yin ne se trouve pas immédiatement. Yīn (殷) se réfère en réalité à la dynastie des 商 Shāng, et l’apparition confirmée de l’écriture chinoise a été datée de cette période, après qu’on ait retrouvé des inscriptions oraculaires sur des os et des écailles de tortue dans les années 1930. La dynastie des Shāng s’est fondée dans la ville de Bó (亳). Après avoir déplacé la capitale à plusieurs reprises, elle s’est finalement installée à la ville de Yīn. Yīn a été la capitale de la dynastie des Shāng pendant 273 ans. Les Chinois appellent donc la dynastie des Shāng aussi « Yīn » ou encore « Yīn shāng ».↩︎
  38. Z. Yang-Drocourt, L’écriture chinoiseop. cit., p. 9.↩︎
  39. Sur cette dualité dans la prononciation et sur ses effets, Lacan insiste, avec les deux autres passages suivants : « Car, sous prétexte qu’un caractère chinois correspond en principe à une syllabe quand vous le prononcez à la chinoise, on-yomi, on ne voit pas pourquoi, si vous le lisez à la japonaise, on se croirait obligé de décomposer en syllabes cette représentation de mots. » Dans J. Lacan, D’un discours qui ne serait pas du semblantop. cit., p. 91-92 ; et : « Enfin, cela vous en apprend beaucoup […] sur ceci, que la langue japonaise s’est nourrie de son écriture. Elle s’est nourrie en quoi ? Au titre linguistique bien sûr, c’est-à-dire au point où la linguistique atteint la langue, c’est-à-dire toujours dans l’écrit. » Ibid., p. 92.↩︎
  40. « En plus, vous pouvez avoir deux caractères chinois. Si vous les prononcez kun-yomi, c’est-à-dire à la japonaise, vous êtes absolument hors d’état de dire auquel de ces caractères chinois appartient la première syllabe de ce que vous dites, et auquel appartient la dernière, celle du milieu encore bien moins, n’est-ce pas ? C’est l’ensemble des deux caractères chinois qui vous dicte la prononciation japonaise à plusieurs syllabes, qu’on entend, elle, parfaitement, prononciation qui répond aux deux caractères à la fois. » Ibid., p. 91. On se retrouve ici avec la même difficulté : l’illustration utilisée par Lacan manque dans la retranscription. Comme exemple supplétif, je propose de considérer le mot 今日 « kyō » (aujourd’hui), qui s’écrit bien avec une paire de kanjis, et dont la prononciation principale comporte bien trois syllabes au sens du syllabaire Hiragana, [きょう] « ki-o-u ». Dans cet exemple, aucune des trois syllabes ne semble rattachable à l’un ou à l’autre des deux kanjis, le premier kanji 今 (maintenant) se prononçant principalement [いま] « i-ma », et le second kanji 日 (jour, soleil, date) se prononçant principalement [ひ] « hi ».↩︎
  41. Il s’agit du Kojiki (古事記), un recueil de mythes japonais daté de 712.↩︎
  42. Pour s’y retrouver dans les mouvements historiques croisés entre confucianisme, taoïsme et bouddhisme, la somme d’Anne Cheng Histoire de la pensée chinoise est une référence. A. Cheng, Histoire de la pensée chinoise, Paris, Seuil, Points, Essais, 1997.↩︎
  43. Pour la prononciation de « jin » et de « nin », ce ne sont pas les hiraganas mais les katakanas qui sont employés ici, car la convention utilisée par les dictionnaires japonais officiels veut que pour indiquer la prononciation kun-yomi, ce soit le syllabaire katakana qui soit utilisé.↩︎
  44. J. Lacan, op. cit., p. 124-125. Dans la leçon ultérieure sur « Lituraterre », Lacan fait explicitement référence au japonais, tant sa langue que son écriture, et y précise l’importance pour son propos vis-à-vis de la lettre et du signifiant. « L’important, c’est que l’effet d’écriture reste attaché à l’écriture. Que ce qui est porteur de l’effet d’écriture y soit une écriture spécialisée en ceci qu’en japonais, cette écriture spécialisée puisse se lire de deux prononciations différentes. En on-yomi […] sa prononciation en caractères est distincte de celle qui se fait en kun-yomi, qui est la façon dont se dit en japonais ce que le caractère veut dire. Mais naturellement vous allez vous foutre dedans, c’est-à-dire que, sous le prétexte que le caractère est lettre, vous allez croire que je suis en train de dire qu’en japonais les épaves du signifiant courent sur le fleuve du signifié. C’est la lettre, et non pas le signe, qui ici fait appui au signifiant […] ». Dans J. Lacan, D’un disours qui ne serait pas du semblant, op. cit., p. 124-125.↩︎
  45. Signalons qu’en plus de ces deux syllabaires, la langue japonaise a conservé une troisième façon de noter la prononciation, appelée Ateji (当て字), qui utilise directement les kanjis pour représenter des mots phonétiquement, souvent indépendamment du sens des kanjis, de la même façon que l’ancienne pratique du Man’yōgana (万葉仮名) le faisait avant la stabilisation des syllabaires Hiragana et Katakana.↩︎
  46. En réalité, les caractères syllabiques hiraganas et katakanas sont eux-mêmes dérivés de caractères chinois, sur un principe d’homophonie et en simplifiant la graphie des caractères chinois qui ont été retenus pour leur valeur phonique. Pour illustrer : le signe hiragana は « ha » ou « wa » est une simplification cursive de la graphie du caractère chinois 波 «  » (une vague), supprimant sa valeur sémantique pour noter d’abord la syllabe « pa », puis la syllabe « ha » ou « wa ». Idem pour な « na » qui vient de 奈 « nài », て « te » de 天 « tiān », ou す « su » de 寸 « cùn », utilisés dans la phrase d’exemple plus bas. Historiquement, notons que le sexe s’est mêlé de la partie : alors que l’écriture normale Kaisho des kanjis a été appelée Otokode, « l’écriture des hommes », l’écriture cursive Sōsho était utilisée par les femmes. Et c’est à partir de cette écriture féminine que s’est développée la pratique de l’écriture phonétique Man’yōgana, l’étape intermédiaire qui a conduit au syllabaire Hiragana. À travers cette génétique des syllabaires japonais, on voit à quel point Lacan est fondé de soutenir « qu’une écriture, ça peut travailler une langue […] », et que « la langue japonaise s’est nourrie de son écriture, […] c’est-à-dire toujours dans l’écrit » (p. 92), dans cette leçon comme dans « Lituraterre ».↩︎
  47. Plus précisément, les caractères syllabiques katakanas sont utilisés pour les mots étrangers autres que le chinois, ainsi que pour les noms savants normalisés et des espèces biologiques mais aussi pour les onomatopées japonaises.↩︎
  48. Cf. la remarque introductive sur l’enjeu de la leçon.↩︎
  49. Dans cette phrase, selon l’audio vers 1:16:05, l’expression « en tant que tels/telle » s’applique bien aux mots et non pas à la représentation, contrairement à l’édition Seuil. Dans cette leçon, cette hypothèse linguistique de Lacan concernant la nécessité de l’écriture pour pouvoir considérer les mots en tant que tels n’est pas étayée davantage. Peut-être qu’un spécialiste des langues sans écriture pourrait nous éclairer sur ce sujet.↩︎
  50. « Sur l’habitat de la parole, je pense que nous avons déjà assez dit des choses les dernières fois pour voir que notre découverte, à tout le moins, s’articule étroitement avec le fait qu’il n’y a pas de rapport sexuel, tel que je l’ai défini. Ou, si vous voulez, que le rapport sexuel, c’est la parole elle-même. » Ibid., p. 83.↩︎
  51. « [la forme tautologique du savoir de la science] sert à refouler ce qui habite le savoir mythique. Mais excluant celui-ci du même coup, elle n’en connaît plus rien que sous la forme de ce que nous retrouvons sous les espèces de l’inconscient c’est-à-dire comme épave de ce savoir, sous la forme d’un savoir disjoint. » Dans J. Lacan, Le Séminaire, Livre XVII, L’envers de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1991, p. 103.↩︎
  52. « […] y lire ce que Freud pouvait énoncer sous le terme qu’il forge du WZ, Wahrnehmungszeichen, et de repérer que c’est ce qu’il pouvait trouver de plus proche du signifiant », et « le langage, précisément de ce que je dis, que l’habite qui parle ». Dans J. Lacan, D’un discours qui ne serait pas du semblantop. cit., p. 118-119.↩︎
  53. J. Lacan, « L’étourdit », in Autres écrits, Paris, Seuil, 2001 [1972]. Il y a plusieurs occurrences de ces néologismes dans ce texte, qui font concept. « Est-ce l’absence de ce rapport qui les exile en stabitat ? Est-ce d’labiter que ce rapport ne peut être qu’inter-dit ? » (p. 455). « Le rapport d’organe du langage à l’être parlant, est métaphore. Il est encore stabitat qui, de ce que labitant y fasse parasite, doit être supposé lui porter le coup d’un réel. » (p. 476)↩︎
  54. J. Lacan, « L’étourdit », Autres Écritsop. cit., p. 490.↩︎
  55. « […] l’écriture, ça ne vous lâche pas du jour au lendemain ». Dans J. Lacan, D’un discours qui ne serait pas du semblantop. cit., p. 88. En effet, Lacan avait commencé dès 1931 à se pencher sérieusement sur les rapports entre le psychisme et l’écrit à Sainte-Anne, avec son article « Écrits inspirés : schizographie ». Cf. J. Lévy-Valensi, Pierre Migault et Jacques Lacan. « Écrits “inspirés” : schizographie ». Annales médico-psychologiques, Paris, tome II, décembre 1931, pp. 508-522. Réédité en 2023 dans le livre Premiers écrits de Jacques Lacan, aux éditions du Seuil.↩︎
  56. « Comment aurait-il pu faire sa petite barre dont j’ai suffisamment usé et abusé, avec les trucs du dessous et les trucs du dessus, s’il n’y avait pas d’écriture ? » Ibid., p. 92.↩︎
  57. « Le ton lui-même, et c’est en ça qu’il faut regarder ça plus d’une fois avant de parler d’arbitraire, a pour eux une valeur indicative substantielle […]. » Ibid., p. 89; et : « si M. de Saussure s’est trouvé relativement en état de qualifier d’arbitraires les signifiants, c’est uniquement en raison de ceci, qu’il s’agissait de figurations écrites. » Ibid., p. 92.↩︎
  58. « […] le miracle, la merveille, le quelque chose qui prouve que du langage il y a quelque chose à faire, à savoir le mot d’esprit, ça repose précisément sur le non-sens. » Ibid., p. 89. Dans l’enregistrement audio, Lacan le prononce manifestement en anglais (1:05:35), et cela peut se comprendre. De fait en anglais, d’une part nonsense est un terme constitué et employé beaucoup plus fréquemment qu’en français, et d’autre part ses connotations, plus nombreuses également, loin d’être limitées à l’idée logique d’absence de sens, le portent en effet du côté du mot d’esprit, notamment pour qualifier les écrits qui visent à amuser par leur caractère volontairement absurde ou fantasque (Oxford dictionary).↩︎
  59. « […] ces figures qui se baladent dans les rêves. Dès que nous savons que ce sont des représentations de mots, puisque c’est un rébus, ça se traduit, überträgt, dans ce que Freud appelle les pensées, die Gedanken, de l’inconscient. » Ibid., p. 89.↩︎
  60. « […] il n’y a pas de métalangage, ça saute aux yeux. Il suffit que je vous fasse une démonstration mathématique, vous verrez bien que je suis forcé de discourir dessus, parce que c’est un écrit. Sans ça, ça ne passerait pas. Si j’en parle, ce n’est pas du tout du métalangage […] Il n’y a aucun métalangage, en ce sens où on ne parle jamais du langage qu’à partir de l’écriture. » Ibid., p. 92.↩︎
  61. « Je vais dire – c’est ma fonction – je vais dire une fois de plus – parce que je me répète – ce qui est de mon dire, et qui s’énonce – il n’y a pas de métalangage. » Dans J. Lacan, Le Séminaire, Livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 107.↩︎
  62. J. Lacan, « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », op. cit., p. 572.↩︎
  63. On peut aussi traduire « Bunkyō Hifuron » par « Thèse sur le mystérieux entrepôt du miroir de la littérature ». Il s’agit d’une étude complète des théories poétiques des Six Dynasties et des premiers Tang qui reste aujourd’hui une source extrêmement importante dans le monde entier pour les spécialistes du sujet, en partie parce qu’une grande partie de ce que Kūkai décrit a été perdue dans les guerres et les incendies en Chine. Cf. https://www.asianstudies.org/publications/eaa/archives/kukai-in-china-what-he-studied-and-brought-back-to-japan/↩︎
  64. F. Cheng, L’écriture poétique chinoiseop. cit., p. 89.↩︎